Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’histoire. Le père de notre illustre contemporain, M. Claude-Ignace Brugière, baron de Barante, reçut toute l’éducation libérale de son temps, celle des collèges et celle du monde. « À seize ans, dit son fils dans les souvenirs de famille qu’il a recueillis avec une pieuse tendresse, ses études classiques étaient terminées ; il resta à Paris pour y faire son droit, fort jeune fort libre, mais raisonnable et rempli de sentimens honnêtes et élevés. La conversation, les distractions de la société, l’accueil qu’il y recevait, ne firent pas de lui un homme frivole et oisif : bien au contraire il contracta l’habitude et le besoin des plaisirs de l’esprit, le dégoût du vulgaire et de l’ignorance ; mais ses occupations n’avaient pas autant de suite qu’elles auraient pu en avoir. Les mœurs du temps étaient très favorables à cette manière d’être, elles répandaient partout un vif penchant à savoir, à examiner, à juger ; mais on cultivait son esprit par l’excitation de la société plus que par l’étude et la méditation. Mon père était cependant un des hommes les plus sérieux que j’aie vus. Il avait un fonds de sentimens et d’opinions qui ne supportait aucune légèreté dans le langage ; cela lui donnait même parfois quelque chose d’une gaucherie et d’une lourdeur d’honnête homme que je me mésestimais de ne pas avoir. Outre ce qu’il devait au caractère et à l’âme que Dieu lui avait donnés et aux premières impressions de famille, les sociétés où il vivait dans sa jeunesse avaient pu lui donner cette disposition ; il avait été recommandé à des oratoriens et à des génovéfains, bons jansénistes, et c’était dans des maisons parlementaires qu’il avait d’abord été présenté. Le parlement de Paris, à cette époque, était exilé et remplacé par le parlement Maupeou ; la vivacité des opinions parlementaires, la haine et le mépris qu’on avait pour le despotisme d’alors étaient des souvenirs toujours présens à mon père, ses récits m’ont souvent fait vivre dans ce temps-là ; il m’a semblé qu’il avait dû alors être fort animé, mais sans fanatisme ni aveuglement. Ce spectacle exerça assurément de l’influence sur lui, et contribua à lui donner une antipathie prononcée contre le despotisme aristocratique de la cour. »

Après quelques années passées à Paris, M. de Barante revint à Riom pour y occuper la charge de lieutenant criminel du bailliage, et bientôt après il se maria. Sa femme, Mlle Tassin de Villepin, d’une très honorable famille d’Orléans, avait huit frères ou sœurs, et seulement 80,000 francs en dot. « Ce mariage, dit son fils, qui ne donna jamais à l’un ni à l’autre de mes parens un regret, n’était peut-être pas assez riche pour le monde où il les faisait vivre. Mon père, après avoir épousé une personne élevée à Paris et dont la famille y était fixée, pouvait ne pas se trouver satisfait de sa