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elle avait spolié une pauvre veuve parce qu’elle en avait trouvé les raisins bons. Ainsi s’était transformée la fille du Frank Bauto dans cette cour sans mœurs et sans justice ; mais l’histoire ne fut pas seule à la punir : Eudoxie rencontra en face d’elle dans ses déprédations éhontées Jean Chrysostome, comme elle l’avait rencontré dans le scandale de ses amours, et la vigne de la veuve devint aussi célèbre à Constantinople que le champ de Naboth dans Israël. On comprendra ce que l’impunité, due à de pareilles exemples, produisait de malheurs et de ruines sur tous les points de l’empire.

L’âme de ce trio malfaisant était Marsa, à qui son rang social et ses alliances donnaient un grand poids en tout ce qui regardait les choses du monde. Quelque parenté éloignée la rattachait à l’impératrice, probablement par la mère d’Eudoxie. Marsa avait fait dans sa jeunesse un mariage illustre en épousant Promotus, général important des armées de Théodose, que le préfet du prétoire, Rufin, pour se venger d’une insulte, avait livré aux barbares dans un service commandé. Toujours faible vis-à-vis de Rufin, Théodose pleura son général sans punir son préfet ; mais, comme dédommagement à sa famille, il adopta en quelque sorte les fils orphelins de Promotus, qui reçurent au palais impérial la même éducation que les jeunes césars. Un si grand honneur exalta l’orgueil de la mère, et lorsqu’un mariage inattendu eut amené sa parente au rang suprême, elle devint à la cour un personnage considérable. Marsa, du reste, menait joyeusement son veuvage entre la galanterie et le rôle d’une impératrice en sous-ordre, faisant montre de son crédit, protégeant les uns, persécutant les autres, vendant les places à beaux deniers comptans et remplaçant le plaisir par l’intrigue quand le plaisir l’abandonna. Irrité par le scandale de ses déportemens, Chrysostome ne lui avait ménagé ni les réprimandes directes ni les censures allusives, et Marsa lui en gardait rancune ; aussi travaillait-elle assidûment à le perdre.

Castricia la seconde était une copie de Marsa sans rien de particulier, du moins les historiens ne nous en parlent que comme d’une très grande dame, très avide d’argent, très intrigante, très perverse ; elle avait eu pour mari le consul Saturninus, mort depuis peu d’années.

La troisième a des traits plus marqués dans l’histoire, et son nom est plus étroitement lié aux persécutions de Chrysostome. On ne sait quel avait été son mari ; mais elle était veuve, ainsi que je l’ai dit, très répandue dans le monde, puissante en intrigue, et prodigieusement riche d’une fortune mal acquise qu’elle employait à mal faire. Eugraphie avait contre l’archevêque un de ces griefs que les femmes ne pardonnent guère. Plus que sur le retour et obligée de