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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

autres. Il se dépouille pour ceux qui ont besoin. Un riche n’a rien s’il n’a pas tout, car ce n’est point un homme, son visage même atteste la bestialité de sa nature ; mais les bêtes sont moins impitoyables, leurs mains sont moins ravissantes, leurs ongles moins déchirans. Quand l’ours et le loup se sont rassasiés, ils cessent de courir à la proie ; mais le riche ne se rassasie jamais. Dieu nous a donné des mains pour soutenir notre semblable qui tombe et non pour lui tendre des piéges et le faire choir. Si c’est là l’usage que nous en faisons, mieux vaudrait que nous n’en eussions point, ou qu’on nous les coupât par pitié. Vous êtes touché de compassion quand vous voyez une bête déchirer une brebis, et quand vous déchirez vous-même un de vos semblables, qui vous est uni par la nature, vous ne croyez rien faire d’indigne, et vous voulez encore passer pour un homme ! C’est la miséricorde qui fait l’homme, c’est la cruauté qui fait la bête. L’homme soulage, la bête dévore, et encore la bouche de l’avare est plus cruelle que celle de la bête, car sa parole seule donne la mort ! »

Le pauvre au contraire est aussi admirable, aussi magnanime, aussi généreux que le riche est lâche et cruel ; il a la paix de l’âme et le regard de Dieu, le riche a déjà l’enfer sur la terre.

« Le pauvre, débarrassé des attaches qui font du riche un esclave plutôt qu’un maître, est un lion qui souffle le feu par les narines. Élevé au-dessus, des choses du monde, il n’est rien qu’il n’entreprenne et n’exécute pour le service de l’église. Fallût-il s’exposer aux dernières nécessités et supporter la persécution pour le Christ, qui l’empêche de remplir son devoir de chrétien fidèle ? Il a méprisé la vie. Que peut-il craindre qu’on lui enlève ? Les richesses ? Il n’a rien. Son pays ? La terre entière est sa patrie. Ses, cliens, son cortége, ses délices ? Il ne connaît rien de tout cela. Sa société est avec le ciel, ses aspirations au bonheur dans une autre vie. Quand il faudra perdre cette existence périssable, quand il faudra verser son sang, que la persécution vienne ! Il est prêt, et voilà ce qui le rend plus puissant que les peuples eux-mêmes et que tous les hommes réunis.

Et pour que vous sachiez que ce discours n’est point entaché de flatteries, je vais vous montrer comment le pauvre seul est libre. Remontez avec moi dans l’histoire. Voici l’exécrable tyran Hérode. Combien n’existait-il pas dans son temps d’hommes puissans et riches, et qui cependant osa lui faire tête ? Qui se cuirassa de courage pour venir châtier par ses paroles ce contempteur des lois morales, ce violateur des lois de Dieu ? — Un riche ? — Oh ! non, un pauvre, un indigent qui n’avait ni lit, ni table, ni toit pour l’abriter. Jean, l’illustre citoyen du désert, fut, je ne dis pas le premier,