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l’Inde. La Russie n’avait point dépassé Orenbourg, et tant d’espaces inconnus existaient entre elle et l’Himalaya qu’il eût été alors chimérique de voir le danger du côté de l’Oxus et de la Boukharie. Même du côté de la Perse, on ne songeait point à la route d’Hérat, qui est celle de l’Afghanistan ; les peuples belliqueux dont elle traverse le territoire semblaient devoir en fermer l’accès pour longtemps encore. On se préoccupait plutôt de la route du sud, le long du golfe Persique ; c’est le chemin qu’Alexandre avait suivi en sens inverse, il y a plus de deux mille ans, en revenant de la conquête de l’Inde. La découverte qu’on fit dans cette direction d’une voie praticable à une armée européenne pourvue d’artillerie n’était pas de nature à rassurer les esprits ; mais les inquiétudes ne se traduisirent réellement en mesures de précaution que près de trente ans plus tard, quand l’Afghanistan, mieux connu, apparut comme la route la plus facile à l’invasion si redoutée. Nous passerons rapidement sur cette crise de 1837 à 1842, dont on a lu ici même plus d’un excellent récit[1]. Le gouvernement de l’Inde, alarmé par deux faits simultanés et concordans, l’attaque de la Russie contre Khiva et celle de la Perse contre Hérat, se préoccupa de garantir sa frontière du nord-ouest, la plus vulnérable de toutes, en se créant au cœur de l’Afghanistan, derrière le royaume de Rundjet-Sing, dont les sympathies lui étaient acquises, un second allié. On sait quel fut le dénoûment de cette aventure, entreprise pour imposer à un peuple brave et fier un souverain dont il ne voulait pas. Après une soumission de quatre ans, le pays entier se souleva, l’armée anglaise fut expulsée de toutes les grandes villes, Ghizni, Kaboul, Kandahar, Kélat, rejetée vers l’Inde et détruite dans sa retraite. Un retour offensif fait en 1842 et l’occupation momentanée de l’Afghanistan ne réussirent pas à donner le change sur la désastreuse issue de cette campagne. L’armée anglo-indienne y avait déployé les qualités solides qu’elle a fait admirer plus tard durant l’insurrection de 1857, et cependant le prestige qui l’avait jusqu’alors entourée parmi les orientaux en fut affaibli à ce point que vingt-cinq années de succès contenus ne le lui ont pas complètement rendu.

L’Afghanistan est dans les mêmes conditions sociales que les états touraniens qui ont été l’objet de notre précédente étude. Le gouvernement de Kaboul est une monarchie absolue en principe, mais en fait limitée par le darbar, sorte de conseil d’état composé des chefs les plus influens du pays. Les Afghans étant une race militaire, l’esprit féodal prime chez eux l’esprit religieux, de sorte que

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mars et du 1er avril 1842, les travaux de M. John Lemoinne sur les Conquêtes et désastres des Anglais dans l’Asie centrale et sur la Monarchie des Afghans.