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A la suite de cet orage survint une difficulté inattendue d’une nature beaucoup plus grave. Celle-ci sortit de l’ordre ecclésiastique, sur la docilité duquel le gouvernement s’était reposé dans tous les temps avec une confiance toujours justifiée. A propos d’une question sans importance, MM. de Coëtanscour et des Nétumières venaient de prononcer en assemblée générale des harangues que le duc d’Aiguillon qualifie de républicaines « à cause du mot de liberté qui en fait tout le fond, comme dans les discours des tribuns de l’ancienne Rome. » Ces messieurs avaient prétendu que les délibérations n’étaient pas l’expression du sentiment véritable des ordres, qui se laissaient souvent dominer par l’influence de leur président. Ces affirmations n’étaient pas sans fondement ; aussi firent-elles beaucoup d’effet, particulièrement sur l’ordre ecclésiastique. Deux députés des chapitres, l’abbé de Villeneuve et l’abbé Du Laurent, profitèrent de l’émotion un moment générale parmi leurs collègues pour jouer une scène pathétique que M. d’Aiguillon prétend avoir été concertée avec les tuteurs, c’est ainsi qu’on commençait à désigner les principaux meneurs de la noblesse. Ces deux ecclésiastiques vinrent se jeter en larmes aux pieds de l’évêque de Nantes, et le supplièrent, par le profond respect qu’inspiraient ses vertus, de concourir à rendre obligatoire le scrutin secret, afin d’écarter à toujours de sa personne des soupçons incompatibles avec la dignité de son caractère. M. de la Muzanchère, facilement accessible à l’émotion, ne sut pas se défendre d’un entraînement que les applaudissemens effrénés de la noblesse rendaient irrésistible ; après avoir tout d’abord refusé de mettre aux voix cette proposition, il finit par l’appuyer lui-même, et, le tiers cédant au sentiment général, l’assemblée prit la résolution suivante : « Quand, avant de se retirer aux chambres, un des trois ordres aura requis qu’il soit délibéré par scrutin, on sera obligé de délibérer dans les trois chambres suivant ladite, voie du scrutin secret et non autrement, sans que, sous quelque prétexte que ce soit, on puisse s’en dispenser[1]. »

Un pareil mode de délibérer aurait singulièrement affaibli l’action du pouvoir sur l’église et sur le tiers-état. Aussi le duc d’Aiguillon se promit-il d’opposer à cette innovation une résistance désespérée, et il en donne les motifs avec une sincérité dépouillée d’artifice. « Les états se composent en Bretagne de trois élémens, dont un peut être considéré comme en opposition à peu près permanente aux ordres de la cour. La noblesse de ce pays est trop nombreuse, et le personnel varie trop d’une tenue à l’autre pour que le gouverneur puisse exercer sur elle une influence efficace. On

  1. Registre des états de Nantes, séance du 1er octobre 1760.