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La difficulté aurait été sérieuse dans une situation ordinaire, mais les instructions du commandant étaient tellement précises qu’il se voyait dans la stricte obligation de les exécuter, quelles qu’en pussent être les conséquences. Il fit donc annoncer pour le lendemain une séance solennelle, personne n’ignorant qu’il y viendrait requérir l’enregistrement de l’arrêt et opérer de sa main la radiation de l’article additionnel au règlement. La nuit se passa dans la plus vive agitation ; un certain nombre de gentilshommes s’étaient engagés par serment à aller jusqu’aux dernières extrémités de la résistance. Le matin chacun était à son poste, les sièges d’honneur étaient placés pour recevoir les commissaires, et les gardes du commandant formaient la haie sur le passage du représentant de l’autorité royale ; on attendait dans un silence plein d’anxiété. Alors s’éleva du milieu du théâtre la voix aiguë, mais pénétrante de M. de Kerguézec, qui, contrairement à ses habitudes, refusait obstinément la conversation à tout le monde depuis l’ouverture de la séance. « Que personne ne parle, s’écria tout à coup l’orateur, sûr de son empire ; qu’on écoute respectueusement M. le duc d’Aiguillon sans lui répondre un seul mot ; tout est arrangé, tout finira conformément au vœu des états, je réponds de tout ! » Le commandant entra dans l’assemblée précédé des officiers des états ; il donna sans commentaire lecture de l’arrêt du conseil, et, s’étant fait apporter par le greffier le registre des délibérations, il biffa celle du 1er octobre sans qu’une seule parole fût articulée ; puis, l’assemblée ayant passé à l’adjudication des fermes et devoirs, la clôture des états fut prononcée avec l’appareil d’usage.

Que s’était-il passé entre le chef de l’opposition et le chef du gouvernement ? Ce mystère nous est aujourd’hui révélé par le journal du duc d’Aiguillon. M. de Kerguézec vit très bien qu’en cas de résistance le commandant était irrévocablement résolu à séparer les états, mesure dont aucun Breton ne voulait encourir la responsabilité. Il vint donc durant la nuit conférer avec le duc, et lui proposa un moyen pour arranger cette affaire à la satisfaction commune du roi, qui entendait être obéi, et des états, qui, en déférant à la volonté royale, ne pouvaient pas lui sacrifier leur honneur. Ce moyen consistait à organiser un concert parmi les principaux membres des états sur la base suivante : ceux-ci conviendraient entre eux, mais sans rien ajouter d’ailleurs au texte du règlement, que le scrutin secret ne serait refusé dans aucune des chambres, lorsqu’un des trois ordres témoignerait le désir que les deux autres recourussent à ce mode de votation. C’était substituer un engagement moral à une obligation écrite. La concession de la part du commandant était considérable ; toutefois le duc d’Aiguillon y adhéra, « tant il était alarmé des suites d’une pareille crise au moment où les parlemens