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qui vous le dis[1]. » Quand il prescrivait au parlement de ne plus songer au passé, ce prince ignorait que, s’il est donné aux gouvernemens forts de trancher les difficultés, il est interdit aux pouvoirs faibles de les supprimer. L’émotion ne fit que croître en Bretagne au retour des députés, auxquels l’attitude de la royauté n’avait inspiré ni le respect ni la crainte. Le parlement déclara que la bonne foi de sa majesté avait été surprise, et sollicita la permission de lui adresser une autre députation munie de renseignemens plus complets. Afin d’obtenir ces renseignemens accusateurs, les membres de la cour frappèrent à toutes les portes, conduits par l’entraînement de la situation à substituer, si probes qu’ils fussent d’ailleurs, l’ardeur suspecte d’une partie à la calme impartialité du magistrat.

Ce fut au milieu de cette agitation que s’ouvrit la tenue de 1764, pour laquelle le duc d’Aiguillon avait rassemblé ce qui lui restait de santé et de force. Pendant que M. de Laverdy s’efforçait à Paris d’affaiblir les états provinciaux en s’appuyant sur les parlemens, le commandant de la Bretagne s’inspirait à Nantes d’une pensée exactement contraire. Persuadé que les plus grands dangers viendraient désormais pour lui du parlement, il espéra pouvoir s’abriter contre ses coups en faisant à l’assemblée provinciale des concessions considérables. Le roi, que les épreuves du duc avaient rattaché plus étroitement encore à sa personne, lui avait remis de véritables pleins pouvoirs, et le premier usage qu’il en fit fut de retirer l’ordre enregistré d’office dans la précédente tenue relativement au vote à la majorité de deux ordres contre un. A la séance d’ouverture, le duc annonça avec une assurance qui dissimulait mal ses vives inquiétudes que « sa majesté l’avait autorisé à déchirer l’ordre du 12 octobre 1762, non que cet ordre contînt rien d’injuste dans ses dispositions, mais parce que le roi était persuadé qu’il ne s’élèverait plus parmi eux aucune discussion semblable à celle qui en avait nécessité l’enregistrement[2]. » Un cri général de vive le roi ! se fit entendre ; la salle retentit d’applaudissemens qui ne cessèrent que lorsque les six commissaires furent sortis, et le duc prit pour un témoignage de la reconnaissance des états ce qui était la bruyante constatation de leur victoire.

L’illusion fut courte, car dès le lendemain un débat des plus vifs s’engageait entre les principaux tuteurs et les commissaires du roi sur la manière dont cet incident serait mentionné au procès-verbal. Les états entendaient qu’il fût bien établi que le retrait d’un ordre attentatoire à leurs droits avait été accordé par le roi sur les

  1. Journal d’Aiguillon, t. III, p. 246.
  2. États de Nantes, séance du 1er octobre 1764.