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sans nul doute, mais qui, dans le courant du XVIe siècle, étaient professées par des casuistes de toutes les robes et de tous les pays. Le père Griffet pouvait avoir tort ; cependant il avait à coup sûr le droit, pour ne pas dire l’impérieux devoir, de défendre l’ordre auquel il appartenait. MM. les gens du roi dénoncèrent cette brochure comme contenant des réponses ironiques peu respectueuses pour la magistrature, et par arrêt du 24 avril 1762 la cour condamna les Remarques sur le réquisitoire de M. de La Chalotais à être brûlées à Paris sur l’escalier du Palais, ordonnant d’informer contre les imprimeurs et colporteurs[1].

Peu de jours après que M. de La Chalotais eut communiqué ses conclusions à la cour, elle rendit un arrêt par lequel « défense fut faite aux sujets du roi d’entrer dans la société de Jésus, d’y enseigner la théologie, la philosophie ou les humanités, défense aux étudians de suivre leurs cours sous peine d’être réputés fauteurs de leurs doctrines sacrilèges et homicides[2]. » Le même arrêt prescrivait à toutes les municipalités de la province d’envoyer des mémoires au procureur-général, dans lesquels elles exposeraient leurs vues sur les meilleures méthodes à suivre pour l’enseignement de la jeunesse ; il ordonnait enfin de brûler par la main du bourreau tous les livres enseignant les doctrines de la société, et enjoignait à ses membres d’abandonner leurs collèges et maisons conventuelles, déclarées propriétés de l’état. L’exécution suivit de près malgré deux tentatives de résistance légale essayées par les jésuites afin de demeurer à titre de particuliers en possession du collège de Rennes, dont la propriété leur avait été attribuée par les états dans le cours du siècle précédent. Le 1er août 1762, dernier délai fixé pour leur départ, tous les membres de la société sortirent à midi de la maison conventuelle après y avoir célébré une dernière messe. L’office terminé, ils emportèrent les vases sacrés, éteignirent la lampe de l’autel, et, laissant le tabernacle ouvert, ils sortirent les yeux pleins de larmes, suivis d’une foule animée d’émotions fort vives. Au fond, la Bretagne était demeurée sympathique à la société proscrite, et la preuve la plus éclatante qu’on puisse apporter de l’universelle popularité conquise à M. de La Chalotais par les iniques persécutions du pouvoir, c’est que, malgré les coups terribles portés par ce magistrat à la compagnie de Jésus, cette popularité se maintint jusque dans les rangs de la noblesse, demeurée attachée presque tout entière aux maîtres qui avaient formé son enfance.

La contrariété profonde causée à l’aristocratie bretonne par une

  1. Journal de Barbier, t. VIII, p. 41.
  2. Arrêt du 23 décembre 1762.