Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Russie, et l’empire, entraîné vers d’autres soucis, abandonna le projet formé avant même qu’on eût pu lui donner un commencement d’exécution.

La restauration se souvenait avec trop d’amertume du rôle joué pendant la révolution par les gens des halles pour porter grand intérêt à leur bien-être ; rien ne fut fait alors, ni pendant les premières années du règne de Louis-Philippe, quoique le percement de la rue de Rambuteau, emprunté au projet impérial de 1811, pût faire croire qu’on allait se mettre sérieusement à l’œuvre. Un mauvais l^énie semblait toujours faire différer une reconstruction complète que chaque année rendait plus indispensable. Une ordonnance royale du 18 janvier 1817 prescrivit en principe l’établissement de halles centrales en rapport avec la population et ses besoins. A cet effet, une loi du 1er août de la même année autorisait un emprunt dont le produit fut promptement détourné de sa destination, car il fallut faire face aux nécessités créées par la disette de 1847 et par la révolution de 1848. Un second emprunt, approuvé par la loi du 4 août 1851, permit enfin de commencer les travaux.

Deux projets étaient à l’étude, l’un appuyé par la préfecture de la Seine, l’autre présenté par M. Horeau. D’après ce dernier, les halles, partant de la rue Rambuteau, faisant façade sur la rue Saint-Denis d’un côté et de l’autre sur une rue future qui eût absorbé celles des Potiers-d’étain et des Orfèvres, allaient chercher la Seine quai de la Mégisserie, demandant au fleuve tous les services qu’on peut exiger de lui pour le transport des denrées et l’enlèvement des immondices. Trois immenses pavillons divisés en marchés particuliers eussent abrité les marchands, les acheteurs et les denrées. Après une enquête à laquelle prirent part les ministres, le conseil municipal, la préfecture de la Seine, la préfecture de police, ce projet, très grandiose en lui-même, fut repoussé, et l’on s’arrêta au premier, qui reproduisait celui que l’empereur avait adopté en 1811. On commença les fouilles en hâte, et le 25 septembre 1851 le président de la république posa la première pierre des halles nouvelles. Le bâtiment qui peu à peu sortit de terre avait un aspect singulier ; plus il s’élevait, plus il avait l’air étrange. Il était composé de fortes pierres de taille, si épaisses et si bien liées qu’elles paraissaient à l’abri du canon ; trapu, solide, écrasé, percé d’ouvertures si manifestement trop étroites qu’en le voyant on pensait involontairement aux embrasures d’une forteresse barbacanée, il ressemblait à un formidable blockhaus placé là pour contenir une population turbulente, et n’avait rien d’un pavillon destiné à la vente de denrées pacifiques. On ne s’y trompa guère, et dès qu’il fut terminé, les gens du quartier le