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REVUE. — CHRONIQUE.

entrer dans la sérieuse et virile pratique des institutions libres, de ce grand régime parlementaire qui doit être un moyen d’expédier les affaires du pays, non de favoriser les vanités bruyantes et les passions puériles d’agitation.

Les problèmes s’étendent et se généralisent d’une étrange façon en Europe. Ce n’est plus la France seule aujourd’hui qui a le triste et malfaisant privilège d’être un foyer de démocratie violente et de socialisme ; peu de pays échappent à la contagion. Le programme de la liquidation sociale et de la révolution ouvrière devient le mot d’ordre commun d’une action confuse, multiple et agitatrice. On dirait une organisation occulte qui étend ses ramifications un peu partout, de Genève à Moscou, de Paris à Vienne ou à Stettin. C’est une fermentation qui, pour être factice sous bien des rapports, n’est pas moins le singulier symptôme d’une maladie universelle. L’Italie avec tous ses embarras, particulièrement financiers et administratifs, est peut-être le pays qui reste le plus à l’abri de cette fièvre nouvelle, et les manifestes que M. Mazzini lance de temps à autre procèdent d’une inspiration personnelle qui est passablement révolutionnaire sans avoir rien de socialiste. L’Espagne est déjà à demi entamée malgré la résistance de l’instinct populaire et des traditions nationales. En Angleterre, le mal n’est contenu que par la puissance des mœurs et des institutions ; sans ce préservatif, il deviendrait bientôt redoutable. En Russie, on vient de découvrir une conspiration nihiliste qui, sans être un danger politique immédiat, révèle un étrange état moral. En Allemagne, le socialisme fleurit sous toutes les formes et sous tous les noms. Il ne compte peut-être pas encore une armée très nombreuse ; il se remue toutefois, il se personnifie dans l'union ouvrière allemande, qui recrute de tous côtés ses prosélytes. Le socialisme allemand contemporain a cela de particulier qu’il n’est plus seulement une philosophie, il vise à la pratique, il fait de grands efforts d’organisation, et il aspire à être une puissance. Il tient ses assises à Berlin, à Halle, à Augsbourg, à Munich. Il a pénétré jusque parmi les ouvriers de Vienne, qui allaient, il y a deux mois, frapper à la porte du président du conseil de l’empereur François-Joseph, et qui s’agitent de nouveau en ce moment même pour des questions de salaire. La dernière grève des mineurs de Waldenbourg était l’œuvre du comité directeur du « parti ouvrier démocrate-socialiste allemand, » qui a fini naturellement par abandonner ces malheureux à leur misère après leur avoir promis l’appui des frères d’Allemagne, d’Angleterre, de France et d’Espagne. Récemment encore il y avait à Berlin une réunion du « congrès ouvrier socialiste. » On avait orné la salle des séances de drapeaux rouges ; la police est intervenue pour faire disparaître ces chiffons, et on a remplacé le drapeau rouge par un grand crêpe noir, non sans déclarer toutefois que la bannière des travailleurs proscrite par la police royale de Prusse « flotterait bientôt sur le toit des Tuileries et sur toutes les