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ment en état de contenir en Prusse, et qui ne pourraient devenir dangereuses que pour quelques pays allemands dont le chancelier de la confédération du nord n’est pas chargé de garantir la sécurité. Les embarras des autres ne sont pas ce qui empêche M. de Bismarck de dormir, et ceux qui peuvent ajouter à ces embarras ne causent pas probablement un sensible déplaisir au chancelier berlinois, puisqu’ils font ses affaires. Pour lui, en ce moment, il est bien assez occupé de ce qui peut compléter l’organisation de la confédération du nord aussi bien que de ce qui se passe dans le reste de l’Allemagne. Depuis le 1er  janvier, le ministère des affaires étrangères de Prusse a cessé d’exister ; à dater de ce jour, il n’y a donc plus à Berlin d’autre organe de la politique extérieure que la chancellerie fédérale. C’est la Prusse fondue dans la confédération, ou, si l’on veut retourner le mot pour être plus vrai, c’est la confédération qui vient de se fondre définitivement dans la Prusse. L’identification est désormais complète. Le fait est passé presque inaperçu, et sans doute on peut dire qu’il n’est que la conséquence prévue de la situation créée en 1866. Ce n’est pas moins un signe palpable et décisif des progrès de cette transformation allemande qui est fort au-dessus de toutes les criailleries socialistes. C’est la constitution irrévocable et absolue de la suprématie prussienne dans les limites du traité de Prague. Dans ces régions du nord livrées à son omnipotence, M. de Bismarck est allé aussi loin qu’il le pouvait en fait d’annexions, d’assimilations et de fusions. Il a tout mêlé, les forces militaires, les intérêts, la politique extérieure. Il a mis son Allemagne en selle, comme il le disait ; où ira-t-il maintenant au premier pas qu’il fera ?

On aura beau se bercer d’illusions, il y a là toujours un inconnu dans cette Allemagne remaniée et inachevée, où la dernière guerre a mis la force d’un seul côté, en laissant l’incohérence et l’incertitude un peu partout de l’autre côté. Les événemens de 1866 ont fait la Prusse prépondérante et absorbante d’aujourd’hui ; ils ont légué aux autres états allemands un héritage de difficultés intimes qui se traduisent en inévitables crises. On le voit par ce qui se passe en Bavière et, jusqu’à un certain point, dans toutes les contrées germaniques du midi. L’Allemagne du sud, garantie dans son indépendance par un article de traité qui ne pourrait sans doute être impunément violé, l’Allemagne du sud reste placée dans cette condition où elle ne peut ni se constituer d’une façon régulière et vivace, ni se rattacher à la confédération du nord. Elle flotte sans cesse entre les nécessités de son autonomie et les traités militaires qui la lient à la Prusse, entre la force d’attraction de cette demi-unité allemande qu’elle voit apparaître au-delà du Mein et les sentimens particularistes de ses populations, qui la retiennent. La lutte est au fond de cette situation, qu’on ne peut ni changer ni affermir sans risquer de rompre en visière avec la Prusse ou avec une partie de l’Europe. C’est là en définitive tout le secret de cette crise qui se dé-