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même thème primitif, remontant peut-être aux temps où Iraniens et Sémites vivaient encore ensemble à l’ombre de l’Ararat.

Quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins que dans le polythéisme le plus sérieusement moral de l’ancien monde l’on rencontre une conception religieuse qui touche de fort près à celle que le monothéisme sémitique nous a léguée sous le nom du diable ou de Satan. Ahriman, comme Satan, a ses légions de mauvais anges qui ne songent qu’à tourmenter et à perdre les mortels. Ce ne sont pas seulement les maux physiques, les orages, les ténèbres, les débordemens, les maladies, la mort, qui leur sont attribués ; ce sont aussi les mauvais désirs et les actes coupables. L’homme de bien est par cela même un soldat d’Ormuzd combattant sous ses ordres les puissances du mal ; le méchant est un serviteur et devient un instrument d’Ahriman. La doctrine zende enseignait qu’à la fin Ahriman serait vaincu et même se convertirait au bien. Ce dernier trait le distingue à son avantage de son confrère judæo-chrétien, mais on peut se demander là aussi jusqu’à quel point cette belle espérance faisait partie de la religion primitive[1]. Ce qui est certain, c’est que la parenté entre le Satan juif et l’Ahriman persan est des plus étroites, et cela n’a rien que de fort naturel quand on pense que de tous les peuples polythéistes les Perses sont les seuls avec lesquels les Juifs, émancipés par eux de la servitude chaldéenne, entretinrent des rapports prolongés de bonne amitié.

Cependant on doit encore s’inscrire en faux contre l’opinion très répandue qui ne voit dans Satan qu’une transplantation de 1*Ahriman persan sur le sol religieux du sémitisme. Il est vrai, le diable juif et chrétien doit beaucoup à Ahriman. A partir du moment où le Satan juif fait sa connaissance, il l’imite, il adopte ses manières, ses mœurs, sa tactique, il établit sa cour infernale sur le même patron : en un mot, il se transforme à sa ressemblance ; mais il existait déjà, bien que menant une vie encore obscure et mal définie. Tâchons de résumer son histoire dans l’Ancien-Testament.

Les Israélites, nous l’avons démontré dans une autre étude[2], ont cru longtemps, avec les autres peuples sémites, à la pluralité des dieux, et le dualisme qui se retrouve au fond de tous les polythéismes a dû par conséquent revêtir chez eux les formes particulières aux religions du groupe ethnique dont ils font partie. A mesure que le culte de Jéhovah devint exclusif de tous les autres, ce dualisme dut changer de formes. Croyant encore à l’existence réelle

  1. Il y eut aussi des théologiens chrétiens, tels qu’Origène, qui crurent à la conversion finale de Satan.
  2. La Religion primitive d’Israël et le développement du monothéisme, 1er septembre 1869.