Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hommes capables par leur sainteté supérieure de prémunir leurs semblables contre ses attaques insidieuses. Une foule de maladies, celles surtout qui, par leur étrangeté et l’absence de symptômes extérieurs, défient les explications naturelles, la folie, l’épilepsie, la danse de Saint-Guy, le mutisme, certains genres de cécité, etc, sont attribuées à ses agens. On suppose que les milliers de démons qui sont sous ses ordres s’échappent continuellement des soupiraux de l’enfer, et — par analogie avec les démons de la nuit auxquels on avait cru toujours — hantent de préférence les régions désolées et les déserts ; mais là ils s’ennuient, ils ont soif, ils tourbillonnent çà et là sans trouver de repos, et leur grande ressource est d’aller se loger dans un corps humain pour en pomper la substance et se rafraîchir dans son sang. Parfois même ils s’y logent à plusieurs. De là les démoniaques ou possédés, dont il est tant de fois question dans l’histoire évangélique. Toutefois la mythologie juive ne voulut pas pousser jusqu’au bout cette ressemblance avec Ahriman. Jamais Satan, par exemple, n’oserait s’attaquer directement à Dieu. Il suffit même ordinairement de certaines formules, dans lesquelles le nom du Très-Haut se présente en première ligne, pour l’exorciser, lui ou ses représentans, c’est-à-dire pour le chasser. Son pouvoir est strictement resserré dans le cercle qu’il a plu à la sagesse divine de tracer à sa domination. Le dualisme demeure donc très incomplet. En revanche, le Satan juif ne se convertira jamais. Prince du mal incurable, se sachant condamné par les décrets divins à une défaite finale et irrémédiable, il persistera toujours dans le mal, et il servira de bourreau à la justice suprême pour tourmenter éternellement ceux qu’il aura entraînés dans ses terribles filets.

Tel fut l’état d’esprit dans lequel la première prédication de l’Évangile trouva sur ce point le peuple juif. Les idées messianiques, en se développant aussi de leur côté, avaient beaucoup contribué à cet enrichissement de la croyance populaire. Si le diable, dans cet ordre d’idées, n’osait pas s’en prendre à Dieu, ni même à ses anges de haut rang, il ne craignait pas de résister en face à ses serviteurs sur la terre. Or le messie devait être le serviteur de Dieu par excellence. Il allait paraître pour établir le royaume de Dieu dans cette humanité qui presque tout entière était assujettie au pouvoir des démons. Par conséquent le diable défendrait ses possessions contre lui jusqu’à la dernière extrémité, et l’œuvre du messie attendu pouvait se résumer dans une lutte corps à corps et victorieuse avec le « prince de ce monde. » C’est un point de vue qu’il ne faut jamais oublier quand on lit les Évangiles. Satan et le messie personnifiaient, chacun de son côté, la puissance du mal et celle du bien se livrant un combat à outrance sur toute sorte de points de rencontre. Jamais Jésus, par exemple, n’eût pu passer pour le