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c’est que les femmes sont plus crédules que les hommes aux promesses de Satan, c’est que la fluidité de leur tempérament les rend plus aptes à recevoir des révélations, c’est enfin que les femmes, étant les plus faibles, ont volontiers recours aux moyens surnaturels pour satisfaire leurs vengeances ou leur sensualité. Toute sorte de recettes sont recommandées aux personnes sages pour se garantir des sorts qu’on peut leur jeter. Le signe de la croix, l’eau bénite, l’usage judicieux du sel et du nom de la sainte Trinité constituent les principaux exorcismes. Le son des cloches est aussi regardé comme un préservatif d’une grande énergie, et c’est pourquoi il est bon de les faire sonner pendant les orages, car, en chassant les démons qui ne peuvent supporter ce son sacré, elles les empêchent de continuer leur œuvre de perturbation. Cette superstitieuse coutume, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, dénote clairement la confusion des démons de l’église et des anciennes divinités des tempêtes et du tonnerre.

Ce qui surtout commande l’attention, c’est la procédure criminelle développée par les auteurs, et qui fit loi partout. Elle est exactement calquée sur celle que l’inquisition avait instituée contre les hérétiques. La sorcellerie, provenant d’un pacte avec le diable, supposant l’abjuration du vœu baptismal, est une espèce d’apostasie, une hérésie au premier chef. Les dénonciations sans preuve sont admises. Il suffit même que le bruit public avertisse le juge pour que celui-ci instruise. Sont admis à déposer tous ceux qui se présentent, même les infâmes, même les ennemis personnels de la sorcière. Les débats doivent être sommaires et autant que possible allégés des formalités inutiles. L’accusée doit être minutieusement interrogée jusqu’à ce que l’on trouve dans les particularités de sa vie de quoi fortifier les soupçons qui pèsent sur elle. Le juge n’est pas tenu de lui nommer ses dénonciateurs. Elle peut avoir un défenseur, qui n’en saura pas plus qu’elle, et qui devra se borner à la défense de la personne incriminée, mais non de ses actes criminels ; autrement le défenseur serait suspect à son tour. L’aveu de la coupable doit être obtenu par la torture, ainsi que la déclaration de toutes les circonstances relatives à son forfait. Toutefois on peut lui promettre la vie sauve, quitte à ne pas tenir cette promesse (cela est textuellement énoncé), si à cette condition les aveux sont complets et prompts. La torture est continuée de trois en trois jours, et le juge doit prendre toutes les précautions voulues pour que l’effet des tortures ne soit pas neutralisé par quelque charme caché dans quelque endroit secret du corps de l’accusée. Il doit même éviter de la regarder en face, car on a vu des sorcières douées par le diable d’un pouvoir tel que le juge dont elles avaient pu rencontrer le regard de face ne se sentait plus la force de les condamner.