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croissance et sa dépravation totale à son contact avec l’Ahriman persan ; que le Satan chrétien a hérité à son tour, lui et ses démons, de ce que les divinités vaincues avaient de plus mauvais dans leur caractère et de plus effrayant dans leurs formes symboliques. En réalité, le diable du moyen âge est à la fois païen, juif et chrétien. Il est chrétien parce que son domaine proprement dit est le mal moral, les maux physiques dont il est l’auteur n’arrivant qu’en suite de son désir passionné de corrompre les âmes, et celles-ci ne se donnant à lui que dans des intentions coupables. Il est juif en ce sens que son pouvoir, quelque grand qu’il soit, ne saurait dépasser les limites qu’il a plu à la toute-puissance divine de lui tracer. Enfin il est païen par tout ce qu’il conserve des anciennes croyances polythéistes. On a le droit de regarder la foi aux démons, telle qu’elle est sortie du moyen âge, comme la revanche du paganisme, ou, si l’on veut, comme le résidu non absorbé du vieux polythéisme se perpétuant sous d’autres formes.

Ce qui prolongea le règne de Satan et de ses démons, ce ne fut pas seulement l’autorité de l’église, ce fut surtout l’état d’esprit que décèlent jusqu’à une époque rapprochée de la nôtre les travaux à prétention scientifique de toute la période antérieure à Bacon et à Descartes. La connaissance réelle de la nature était nulle, le sentiment de l’inviolabilité de ses lois encore à naître. L’alchimie, l’astrologie, la médecine du temps, versaient régulièrement dans la magie ; elles croyaient, tout aussi bien que la théologie contemporaine, aux forces occultes, aux talismans, au pouvoir des paroles, aux transmutations impossibles ; même après la renaissance quel fatras mystique et superstitieux que les doctrines physiologiques de Cardan, de Paracelse, de van Helmont ! Il faut bien que l’état général des esprits, déterminé en grande partie par l’église, je le reconnais, mais par l’église subissant elle-même l’influence des idées régnantes, ait été la cause proprement dite de cette longue série de sottises et d’abominations qui constitue l’histoire du diable au moyen âge et dans les temps modernes. La preuve en est que, dans un temps et dans des pays où l’église était encore très puissante et très peu endurante, on vit la croyance au diable baisser, pâlir, se retirer de la vie réelle, subir des assauts réitérés, tomber lentement dans le ridicule sans qu’aucune persécution notable ait signalé ce très grave changement dans les idées de l’Europe éclairée. Les vieux contes prétendaient que les sabbats les plus tumultueux s’évanouissent comme une fumée au lever du soleil ; en vérité, les vieux contes ne savaient pas jusqu’à quel point l’avenir devait leur donner raison.

Les deux grands faits qui, en modifiant profondément l’état