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général des esprits, ont amené cette irrémédiable décadence, furent l’influence indirecte de la réforme et les progrès de la science rationnelle. On s’étonnera peut-être de voir mentionner ici la réforme. Les réformateurs du XVIe siècle ne combattirent nullement la foi au diable. Luther lui-même y tenait beaucoup, et la plupart de ses amis aussi. Calvin dut à une certaine sécheresse d’esprit, à sa défiance de tout ce qui laissait trop de jeu à l’imagination, de rester toujours très sobre en parlant d’un sujet qui faisait délirer les meilleures têtes ; mais il n’en partagea pas moins les idées communes sur Satan, son pouvoir, et les énonça plus d’une fois. Aussi parlons-nous d’une influence indirecte, qui n’en fut pas moins très forte. Ce qui dans les populations qui adoptèrent la réforme porta un premier coup, et un coup très sensible, à sa majesté infernale, ce fut qu’en vertu même des principes proclamés on n’en eut plus peur du tout. L’idée si énergique chez les protestans du XVIe siècle de la souveraineté absolue de Dieu, cette idée qu’ils poussent jusqu’au paradoxe de la prédestination, les amena bien vite à ne plus voir dans Satan qu’un instrument de la volonté divine, dans ses agisse-mens que des moyens dont il plaisait à Dieu de se servir pour réaliser ses desseins secrets. En vertu de sa foi, le chrétien n’avait plus qu’à mépriser l’ange rebelle, totalement impuissant contre les élus. On sait comment Luther le reçut lors de la visite qu’il vint lui faire à la Wartbourg[1]. La simplification du culte et la négation des pouvoirs surnaturels délégués au clergé contribuèrent aussi beaucoup à dissiper le cauchemar dans l’esprit des simples. Plus d’exorcismes, ni au baptême, ni dans les cas supposés de possession démoniaque ; plus de ces mises en scène qui terrifiaient les imaginations, ou le prêtre, brandissant le goupillon, se battait à coups d’eau bénite avec le démon, qui ripostait par d’affreux blasphèmes. Personne désormais ne croit plus aux incubes ni aux succubes. S’il est encore çà et là question de personnes possédées, la prière et l’exhortation morale sont les seuls remèdes pratiqués, et bientôt rien n’est plus rare que d’entendre parler de démoniaques au sein de ces populations. L’idée que les miracles racontés dans la Bible sont les seuls vrais, toute illogique qu’elle soit, n’en fait pas moins qu’on s’habitue à vivre tous les jours sans en espérer comme sans en craindre. Or les miracles du diable sont les premiers à souffrir de ce commencement de décadence de la croyance au surnaturel. Satan redevient donc purement ce qu’il était au Ier siècle, et même moins encore, un esprit tentateur, invisible, impalpable, dont il faut

  1. Comparez dans le même ordre d’idées les fortes expressions du catéchisme de Calvin, Dim. IV.