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n’était pas homme à y renoncer facilement ; il les avait étudiés, il leur avait consacré les plus belles années de sa jeunesse, et ne pouvait consentir à les voir enterrer. Dès que son service militaire le lui permit, vers 1852, il les reprit avec une nouvelle ardeur, tout en les modifiant dans le sens des nouveaux besoins que vingt années avait développés. Pendant cet intervalle en effet, des chemins de fer avaient été construits dans l’Europe entière, et la science de l’ingénieur avait su triompher de tous les obstacles naturels qui pendant longtemps en avaient arrêté l’établissement. Aussi le colonel Chesney n’hésita-t-il pas, au lieu de poursuivre l’idée qu’il avait conçue d’abord, à proposer la construction d’une voie ferrée depuis l’embouchure de l’Oronte jusqu’au Golfe-Persique, en suivant précisément cette vallée de l’Euphrate qui pour lui était toujours le grand chemin de l’Inde. Il retourna subies lieux avec des hommes compétens, fit étudier le tracé, et, après s’être convaincu de la possibilité de l’établissement de cette ligne, il organisa une société pour en solliciter la concession et en entreprendre l’exploitation. D’après ce projet, la ligne comprenait deux sections. La première devait partir de Souédie, — l’ancien port de Séleucie, aujourd’hui en partie ensablé, mais qu’il serait facile de remettre en état, — remonter ensuite la vallée de l’Oronte, traverser au moyen d’un tunnel les collines d’Halaka, atteindre le plateau d’Alep par une pente de 2 à 3 millimètres, et redescendre de cette ville vers Balis, sur l’Euphrate, en face du château de Giaber. La longueur de cette première section était d’environ 220 kilomètres, La seconde descendait l’Euphrate, sur la rive droite, traversait le fleuve à Phamsah, touchait aux deux villes importantes d’Annah et de Hit, d’où elle se dirigeait vers Bagdad ; elle suivait ensuite les bords du Tigre et aboutissait d’abord à Kornah, puis à Bassora. La ligne entière devait avoir de 1,500 à 1,600 kilomètres, et les dépenses de construction ne devaient pas s’élever à plus de 300 millions.

Les travaux les plus importans à exécuter étaient le rétablissement du port de Séleucie, évalué à 30,000 livres sterling, le percement d’un tunnel entre ce point et Alep, la construction d’un pont sur l’Euphrate et la consolidation des digues du fleuve pour éviter les inondations. Le détour du chemin vers Bagdad et le Tigre avait d’ailleurs pour objet d’éviter les marais des environs de New-Lamlum. D’après les estimations de MM. Mac Neil et Falkowsky, qui avaient fait de ce chemin une étude approfondie, la section la plus coûteuse, celle comprise entre Giaber et Hit, ne devait pas occasionner une dépense de plus de 250,000 francs par kilomètre, tandis qu’en France la moyenne a été de près de 400,000 francs.

Ce projet fut soumis au gouvernement turc, qui consentit à