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Domitien voulut faire la guerre. Il projeta d’abord une expédition contre les Germains. La révolte de Civilis et des Bataves survint pour lui fournir une raison plus sérieuse de prendre les armes. Il ne rêvait que campagnes, combats, victoires, afin d’égaler un père qui l’écrasait et un frère dont il était jaloux. Mucien ne pouvait calmer ce caractère indomptable ; il lui était plus facile de le jouer et de rendre vaines ses résolutions. Cependant il ne pouvait le quitter, et ce fut avec anxiété qu’il attendit l’issue d’une révolte qui pouvait gagner toute la Gaule et compromettre le nouveau règne. Son inquiétude le força même de condescendre aux désirs de Domitien et de s’acheminer avec lui vers les Alpes ; il était plus près du danger et capable de réparer un désastre, si un désastre survenait. Il franchit même les Alpes et conduisit Domitien jusqu’à Lyon. Là, on apprit le triomphe du général romain Céréalis, la soumission des Trévires et des Cannifates ; là, toutes les espérances de Domitien s’évanouirent. On racontait cependant qu’il avait fait sonder secrètement Céréalis pour savoir s’il pouvait compter sur lui et sur son armée. Toutes ces menées tournèrent à sa confusion.

Reconduit à Rome par Mucien, il apprit bientôt avec terreur que son père arrivait enfin, poussé par les vents plus doux du printemps, et qu’il allait débarquer. Ses fautes et plus encore ses coupables intentions se représentèrent si vivement à son esprit qu’il se crut perdu. Il avait, pour combler la mesure, accueilli avec insolence Cœnis, la maîtresse de son père, qui revenait d’Istrie. Il feignit la folie et une sorte d’hébétement, alla au-devant de l’empereur jusqu’à Bénévent, l’écouta, et lui répondit de façon à lui faire croire que tous ses actes devaient être imputés au dérangement de son cerveau. Vespasien, qui ne fut point sa dupe, mais qui s’était entendu avec Titus et avait promis de pardonner, se contenta de tancer durement son fils, et de lui interdire toute participation aux affaires. Dès lors, méprisé par les vieillards, raillé par les soldats d’Orient, traité en enfant par l’empereur, humilié par la commisération et la protection lointaine de son frère, Domitien s’enferma dans la retraite. Il s’efforça de paraître modeste et détaché de toute ambition. Il cultiva la poésie, dont il n’avait nullement le goût et pour laquelle il témoigna plus tard le plus solide mépris ; il lut des vers en public, se souvenant peut-être de la prudence de Tibère et de son retour de Caprée. Le père de Stace était son professeur, et Quintilien, en habile courtisan, ne manquait pas d’admirer ses œuvres. Vespasien le tenait auprès de lui sous une étroite surveillance, le faisait porter en litière comme un enfant lorsqu’il paraissait en public ; le jour de la cérémonie du triomphe, il le fit suivre sur un cheval blanc, tandis que Titus montait sur le char triomphal auprès de son père. Domitien dévora tout et désarma