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par sa soumission des cœurs qui ne demandaient qu’à être désarmés. La dynastie nouvelle ne comptait que trois têtes : Vespasien était vieux et fatigué ; Titus n’avait point de fils ; beaucoup plus âgé que son frère, il le ménageait comme un successeur. Avec ses idées de fondateur et de nouvel Auguste, Titus avait une prédilection marquée pour l’indigne jeune homme qui devait continuer sa race sur le trône et le faire regretter lui-même. Domitien reçut des marques publiques de cette bienveillance qui devait être si fatale au monde. Titus lui céda le seul consulat régulier qu’il ait obtenu pendant le règne de Vespasien, plus clairvoyant et plus sévère ; sans les supplications de Titus, il ne l’aurait même pas exercé. Si son nom figure cinq fois dans les fastes consulaires, c’est pour la forme ; il ne remplit aucun de ces cinq consulats, et ne reçut qu’une délégation dérisoire pendant quelques semaines.

Néanmoins il caressait toujours l’idée de faire au loin ses premières armes, de devenir un grand capitaine, d’éblouir Rome par ses exploits, et surtout de s’attacher une armée dont il aurait fait un usage facile à prévoir. Lorsqu’il sut que Vologèse, roi des Parthes, demandait des secours contre les Alains et un des fils de l’empereur pour conduire la guerre, il fit tous ses efforts pour être envoyé en Orient. L’expédition n’eut point lieu. Alors il s’adressa aux autres rois de l’Asie, essaya de les gagner par ses présens et ses promesses, afin que leurs prières réunies obtinssent qu’une armée commandée par Domitien vînt mettre un terme aux dévastations des Alains. Vespasien connaissait trop bien son fils et savait trop comment l’on gagnait les Orientaux pour commettre une telle faute. Domitien dut ronger son frein pendant toute la durée du règne.

Il se dédommagea, mais sans fruit, dès que son père fut mort. Titus avait pour lui la faiblesse qu’on a pour un frère de douze ans plus jeune et surtout pour le seul héritier d’un empire chèrement conquis. Fonder une dynastie avait été la chimère de Titus : or il n’avait point d’enfans, et Domitien était tout son espoir. Établi fortement sur le trône, assuré d’un pouvoir auquel il avait été associé depuis neuf ans et qu’il avait lui-même préparé, adoré d’un peuple auquel il avait ménagé un de ces coups de théâtre dont l’humanité est volontiers la dupe, Titus pouvait tout pardonner à Domitien. Les efforts du jeune ambitieux n’étaient que risibles ; ses mauvaises intentions n’aboutissaient même pas à une tentative d’exécution, tant cette âme, gâtée dès sa jeunesse, était énervée et pusillanime. C’est ainsi que Domitien après la mort de Vespasien se consulta longtemps pour savoir s’il n’achèterait pas les prétoriens en leur promettant une somme double de celle que leur donnait son frère ; c’est ainsi qu’il allait répétant partout que son père, en mourant, l’avait associé à l’empire, mais que Titus avait