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Germanie personnifiée par une femme en pleurs, Domitien à cheval et chargeant un ennemi agenouillé. Enfin, pour acheter la complicité des soldats qui l’avaient accompagné, l’empereur augmenta d’un tiers la solde de toute l’armée, et, comme une telle prodigalité ruinait le trésor, il diminua peu à peu le nombre des légionnaires, réduisant les défenseurs des frontières à une faiblesse numérique qui les exposait à être vaincus.

Toute parodie officielle rencontre plus de railleurs que de flatteurs. Les fonctionnaires tremblent et composent leur visage ; mais le peuple, qui ne craint rien, ne ménage ni le rire ni le mépris. Les incrédules allèrent jusqu’à prétendre que le triomphateur avait manœuvré de manière à éviter et même à fuir l’ennemi. Domitien sentit que sa popularité était perdue ; l’amertume et le soupçon, qui épient les despotes comme une proie, se glissèrent dans son cœur ; la modération, le désir d’être aimé, la sérénité, les bonnes intentions, furent chassés du même coup. Tout blessait sa conscience ombrageuse et son esprit pénétrant. Il s’irritait également d’être félicité et de ne point l’être ; les éloges lui paraissaient une dérision, le silence une condamnation. Ses courtisans envenimaient tout par leurs bassesses, et redoublaient ses dégoûts et ses ennuis. Déjà les délateurs reparaissaient, déjà ils se faisaient écouter, déjà la nièce de l’empereur, Julie, avait dû sauver de la mort le consul Ursus, qui n’avait pas craint de blâmer son maître. Domitien glissait sur la pente fatale qui avait conduit ses prédécesseurs à l’assassinat et à la scélératesse. La fortune vint à son secours en faisant éclater une guerre sérieuse ; il put quitter Rome, secouer le vertige qui le gagnait, courir à des victoires qui laveraient ses mensonges et satisfaire enfin l’ambition de toute sa vie, jusque-là déçue.

Les Daces avaient pris les armes. Ils passaient pour les plus braves et les plus belliqueux des barbares. Ils formaient une vaste confédération, composée de quinze peuples, dont les noms sont mentionnés par Ptolémée, et occupaient tous les pays qui s’étendent de la Theiss aux Carpathes et du Pruth au Danube, c’est-à-dire une partie de la Hongrie et de la Moldavie, la Bukowine, la Valachie, etc. Le chef militaire de la confédération avait le titre de décébal, comme jadis les chefs gaulois portaient le titre de brenn. Le dernier décébal, dont le nom était Diurpanéus, avait été désigné au choix de la nation par le vieux roi Duras à cause de sa valeur et de ses vertus guerrières. A peine élu, il voulut justifier son élection, passa le Danube, ravagea le territoire romain, défit et tua le gouverneur de la Mésie, Oppius Sabinus, emporta d’assaut plusieurs forteresses et étendit au loin ses ravages. A la première nouvelle de cette agression, Domitien partit. Le voyage était long, le temps nécessaire pour rassembler une armée plus long encore ; lorsqu’on fut