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Mais un autre usage barbare subsistait encore : le trajet de Bicêtre à la barrière Saint-Jacques ; il avait cependant été rendu matinal et plus humain. La charrette lente, lourde et à claire-voie avait été remplacée par « le panier à salade, » plus rapide, complètement clos, et où du moins le condamné, assis près du prêtre, pouvait cacher à la foule gouailleuse ses dernières expansions et son repentir suprême ; mais la nécessité de faire cette longue route sur des chemins souvent défoncés par l’hiver, au milieu des convois de maraîchers, constituait encore une redoutable aggravation de peine. La construction du grand dépôt sur la place de la Roquette amena une modification essentielle dans l’incarcération des condamnés à mort ; on ne les conduisit plus à Bicêtre, on les enferma à la Roquette, dans un quartier spécial. Dès lors le trajet de la prison au lieu du supplice, devant se faire à travers les rues populeuses de Paris, devenait bien plus cruel que le voyage de Bicêtre ; on sentit l’inconvénient d’un tel système, qui ramenait en quelque sorte aux erremens d’autrefois, et, pour y remédier, on prit un parti dont l’humanité a su profiter. Au mois de juin 1851, après l’exécution de Viou, la place de la barrière Saint-Jacques fut délaissée, et le 16 décembre de la même année Humblot fut décapité au rond-point de la Roquette, à la porte même de la prison où il avait attendu qu’on prononçât sur son pourvoi et son recours en grâce. Depuis cette époque, les vingt condamnés à mort qui ont subi leur peine à Paris, ont été exécutés sur cet étroit emplacement, en un endroit facilement reconnaissable à cinq dalles encastrées au milieu des pavés et destinées à supporter d’aplomb les chevalets de l’échafaud.

La place semble avoir été choisie avec un discernement très perspicace. On donne à la loi tout ce qu’elle exige, mais rien de plus. Si l’exemple est là dans ces terribles solennités de la justice, il est en sens inverse de celui qu’on voudrait donner. Puisque l’article 26 du code pénal, qui dit : « L’exécution se fera sur l’une des places publiques du lieu qui sera indiqué par l’arrêt de condamnation, » n’a pas été abrogé, il faut que le châtiment soit public ; mais le temps n’est plus où les grands seigneurs forçaient leurs gens d’assister en livrée, sur la place de Grève, au supplice des criminels, et leur disaient que c’était là une bonne école pour les domestiques. On sait de quels élémens se compose aujourd’hui la masse des curieux qui se pressent à ces douloureux spectacles, ; on n’ignore pas les scandales qui se produisent dans cette agglomération de mauvais monde ; plus qu’autrefois on a souci d’une certaine réserve, et, en obéissant au principe de la législation, on lui arrache, au profit de la morale, tout ce qu’on peut lui dérober. Les hauts bâtimens du dépôt des condamnés et ceux de la maison des jeunes détenus sont un obstacle invincible à la curiosité malsaine de la population ; les