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exception en sa faveur. Le codétenu intervient à son tour. « Laisse-toi faire, va, ça n’est pas si dur que ça en a l’air, on s’habitue à tout. » Il n’est peut-être pas un de ces hommes qui, enfin revêtu, ne se soit appuyé contre la muraille et n’ait dit en soufflant avec effort : J’étouffe là dedans. C’est là le vrai supplice, et qui doit durer jusqu’à la dernière demi-heure, car cette camisole qui entrave et paralyse tous ses gestes, instinctifs ou réfléchis, qui, jour et nuit, à chacun de ses mouvemens, dans la veille comme dans le sommeil, lui rappelle qu’il va mourir, il ne la quittera qu’au moment de monter sur l’échafaud. Et pourtant il n’est point seul dans sa cellule ; à toute minute, il est en présence de son codétenu qui lui sert d’auxiliaire, d’un gardien et d’un garde de Paris à qui l’on a fait retirer son sabre ; de plus, si la porte est close, le guichet en est ouvert et un gardien placé dans la galerie se promène incessamment devant la porte.

Il est bien rare que le condamné ne tombe pas presque immédiatement dans un abattement profond. Il est à bout de forces ; il a tant lutté pendant l’instruction, pendant les débats ; il a entassé tant de mensonges qui se sont écroulés sur sa tête, il a imaginé tant de ruses dont on s’est servi pour le vaincre, il s’est tellement dominé pour ne point laisser échapper les violences qui bouillonnaient en lui, il est si découragé, si las, si anéanti jusque dans ses moelles, que, semblable à un animal trop longtemps poursuivi par les chiens, il se laisse tomber et s’endort d’un sommeil de plomb. Aussi, lorsque le soir même de sa condamnation on lui parle de signer son pourvoi, il refuse énergiquement, il s’impatiente, il hoche la tête : me pourvoir, ah ! bien oui ! J’en ai assez comme cela, je ne demande qu’à en finir. Il a compté sans l’espérance, qui jamais ne meurt, même dans les cœurs les plus désespérés. Le directeur de la Conciergerie insiste, car il n’est pas à son aise devant la responsabilité qu’un condamné à mort fait peser sur lui ; puis l’avocat vient, il a découvert des cas de cassation qui sont de nature à autoriser le renvoi devant une autre cour d’assises qui, plus éclairée ou moins prévenue, ne prononcera pas la peine irrémissible. Ceux qui ont refusé d’en appeler à la juridiction suprême sont bien rares ; on en connaît cependant, entre autres Jadin, qui ne voulut jamais se pourvoir, afin d’échapper plus vite au fantôme de sa victime qui le hantait jour et nuit ; en général on a promptement raison des résistances du condamné : tout en ayant l’air parfois de faire une sorte de grâce à son avocat, il cède, il signe.

La justice, qui garde dans sa maison le condamné tant qu’il ne s’est pas pourvu, le remet au préfet de police, pouvoir exécutif, aussitôt que les pièces sont en règle. Toujours vêtu de la camisole de force et transporté dans une voiture cellulaire, il est conduit et