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tortionnaires du moyen âge. Comme s’il était en deuil de ceux que la justice lui a livrés, il est couvert de vêtemens noirs qui sont d’une propreté recherchée. Il est très réservé d’attitude, ingénieux du reste et inventeur ; il a apporté au triste instrument qu’il gouverne des améliorations notables et qui ont profité aux condamnés. Il a beau se dire qu’il est le représentant de la justice, et que pour l’acte suprême de son ministère elle lui a confié le glaive impeccable qui ne doit jamais frapper à faux ; il n’en est pas moins ému et troublé chaque fois qu’il va tuer un homme. A la suite de presque toutes les exécutions, il est malade pendant plusieurs jours.

Le temps n’est plus où il était interdit à l’exécuteur d’habiter dans l’intérieur des villes. Il faut qu’il y vive au contraire à la disposition de la justice, qui doit pouvoir l’appeler et le requérir à toute heure de jour et de nuit. Il est chargé des exécutions dans les sept départemens ressortissant à la cour impériale de Paris. On ne croit plus, comme au siècle dernier, qu’il tient table ouverte pour les gentilshommes pauvres, on ne va plus lui demander de quoi composer des philtres et des onguens mystérieux ; mais il n’en est pas moins un personnage ténébreux et redouté sur qui pèse une sorte de déchéance injuste, — car, si la loi doit être exécutée, il lui faut bien un exécuteur, — et que M. de Maistre n’a pu relever dans l’opinion publique en disant qu’il est la clé de voûte de l’édifice social. C’est un humble et terrible fonctionnaire qui, pour accomplir sa tâche, sort momentanément de l’ombre où il se complaît. Il est peu payé, même misérablement, si l’on songe à ce qu’il est obligé de faire. Avant la révolution, l’exécuteur percevait sous le nom de havage ou de riflerie un droit sur les céréales apportées à Paris, qui lui valait environ 17,000 livres par an. C’était là son traitement fixe, indépendamment des factures, à prix débattu, que le parlement lui faisait payer après chaque exécution. Aujourd’hui il a un abonnement de 9,000 francs pour entretenir, loger, transporter les bois de justice, fournir ce qu’on nomme les accessoires, conduire le cadavre au cimetière, solder les charpentiers ; de plus il a un traitement annuel de 4,000 francs ; ses deux aides sont payés 1,500 francs chacun.

Pour serrer la vérité d’aussi près que possible dans cette étude, j’ai suivi toutes les phases d’une exécution, et je prie le lecteur de m’en savoir quelque gré. Il me suffira de les raconter, car ces spectacles solennels offrent tous les mêmes péripéties, et passent dans un ordre immuable, fixé d’avances sous les yeux du public. Dès qu’on a su par les journaux que le pourvoi en cassation était rejeté, chaque soir des groupes de curieux se sont réunis place de la Roquette et ont attendu ; vers une heure du matin, voyant que rien d’anormal ne se produisait, ils se sont dissipés ; avant le jour, d’autres