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« dans le lieu qui porta primitivement le nom de Suites. » M. Rilliet reconnaît en eux l’esprit d’indépendance des Allémans, « l’impatience de toute usurpation, le goût des coups de main, l’amour de l’égalité, l’esprit d’exclusion porté à ses dernières limites, le sentiment plus vif de son droit que de celui des autres. » Ils comptaient parmi eux peu de serfs appartenant à des couvens ou à des seigneurs, ils avaient l’indépendance civile. Ils détestaient les moines, c’est le trait dominant de leur caractère dès les plus anciens temps. Un monastère de bénédictins se dressait dans leur pays (celui d’Einsiedeln), abrité sous des protections redoutables ; les Schwyzois, dès le XIe siècle, osèrent toutefois s’attaquer à cette puissance et disputer violemment les Alpes à ses troupeaux. Schwyz est le plus fougueux, le plus emporté des trois Suisses ; c’est lui qui doit se jeter le premier dans la mêlée, vaincre au Morgarten, et mériter de donner son nom à la patrie commune. Unterwalden au contraire demeura dans l’ombre jusqu’au XIIIe siècle : c’était alors l’état le plus éloigné de cette organisation communale où Schwyz et Uri devaient atteindre si rapidement. Partagé en deux vallées indépendantes l’une de l’autre (l’Obwald et le Nidwald, anciennement Sarnon et Stannes), c’était un territoire morcelé entre une foule de seigneuries et de paroisses, un pays de nobles et de vilains. Quel fut donc le lien entre ce canton futur et les deux autres ? Ce fut l’ennemi commun, le Habsbourg. Les Habsbourgs étaient comtes du Zurichgau et de l’Aargau, Unterwalden dépendait de ces deux juridictions, Schwyz de la première ; en outre ces puissants seigneurs possédaient quantité de titres et de biens dans ces deux cantons et ailleurs, en Alsace, à Lucerne, à Zurich ; leur maison grandissait, constamment enrichie par des héritages ou des concessions impériales. Enfin un beau jour ils avaient mis le pied même à Uri, qui ne dépendait que de l’empereur et du couvent de Zurich. De là au pouvoir souverain, il n’y avait qu’un pas facile à franchir ; la Suisse fut sur le point d’avoir un maître.

Il n’en fut rien cependant. Le fils rebelle de l’empereur Frédéric II, Henri, roi des Romains, voulait s’assurer le passage du Saint-Gothard, que l’on commençait d’escalader par la vallée de la Reuss : c’était le chemin de l’Italie. A cet effet, en 1231, il racheta du comte Rodolphe tous les hommes établis dans la vallée d’Uri, et il s’engagea dès lors, sous un diplôme d’affranchissement ou d’exemption adressé à leur communauté (universitas vestra), à les maintenir perpétuellement dans la domination immédiate de l’empire. Ce fut un acte important d’où, sortit la liberté d’Uri et par suite la liberté de la Suisse, car à cette époque il ne s’agissait pas d’émancipation absolue : tous ceux quittaient compris dans l’empire devaient relever de l’empereur : l’indépendance consistait donc à