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aggravant d’avance les difficultés d’une œuvre de réorganisation qui ne pouvait commencer qu’après le dernier acte de la révision électorale.

Ce jour-là seulement en effet commençait l’ère nouvelle ; il n’y avait plus à reculer, la question se posait nettement pour le chef de l’état aussi bien que pour les hommes engagés dans ce mouvement qui s’accomplit depuis six mois. Ce jour-là, la responsabilité a commencé pour tous, et ce moment venu, il faut l’avouer, l’empereur s’est exécuté avec la correction d’un souverain constitutionnel. La lettre qu’il a écrite à M. Ollivier est l’expression la plus caractéristique de cette révolution qui nous ramène au régime parlementaire. M. Ollivier est chargé de désigner à l’empereur « les personnes qui peuvent former avec lui un cabinet homogène, représentant fidèlement la majorité du corps législatif. » Le but est de « faire fonctionner régulièrement le régime constitutionnel. » On a voulu voir dans une autre lettre impériale adressée à M. de Forcade une sorte de correctif de la lettre à M. Ollivier. C’est simplement ignorer les choses. La lettre à M. de Forcade, si nous ne nous trompons, n’a été écrite qu’après coup, peut-être sur l’observation que le congé donné aux anciens ministres sans un seul mot public semblerait assez dur, et dans aucun cas elle ne peut diminuer la signification de la lettre à M. Émile Ollivier. Il faudrait éviter en de pareils momens de se perdre dans des interprétations par trop fines. En définitive, l’empereur a fait son devoir en écrivant sa lettre ; il a dégagé sa responsabilité dans la circonstance actuelle, et maintenant, qu’on ne s’y trompe pas, c’est la responsabilité des hommes du parlement qui est en jeu. Ils sont les premiers intéressés au succès des efforts qui se font aujourd’hui. Chose curieuse cependant, lorsqu’on ne voyait cette crise qu’à distance, les listes ministérielles couraient partout, chaque jour dans les couloirs de la chambre on faisait et on défaisait des cabinets ; rien ne semblait plus simple, il ne pouvait y avoir que l’embarras du choix. Depuis que la crise est ouverte, tout est changé, il n’y a plus que des impossibilités. Le centre gauche refuse, et le centre droit a des hésitations. M. Segris ne peut accepter sans M. de Talhouët, qui à son tour ne veut point entrer au pouvoir sans M. Daru et M. Buffet, lesquels de leur côté sont retenus par d’autres scrupules, — si bien que très décidément M. Émile Ollivier éprouve les plus grandes difficultés à former son cabinet, même en gardant quelques-uns des anciens ministres tels que M. Magne, le général Lebœuf, l’amiral Rigault de Genouilly, peut-être aussi M. de Chasseloup-Laubat.

À quoi tiennent ces difficultés ? Allons-nous donc avoir sous les yeux une expérience nouvelle de ce que peuvent les tiers-partis ? Nous ne doutons certes pas que les hommes à qui on aurait offert une part du pouvoir et qui l’auraient refusée n’aient eu leurs raisons. Malheureusement, et c’est là une vieille histoire, il est trop vrai aussi que par leur nature les tiers-partis sont toujours plus propres à préparer les situa-