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fortement, sans rien perdre toutefois de son indolence et de ses alanguissemens un peu pédantesques. On était à la veille d’une nouvelle session législative, et l’empereur François-Joseph revenait dans ses états après son voyage en Orient. Les ministres, réunis en conseil, élaborèrent, non sans peine, le discours du trône, et l’empereur, en souverain constitutionnel, le prononça solennellement à l’ouverture du Reichsrath. Cependant, le lendemain même, les ministres s’aperçurent qu’ils n’étaient d’accord ni sur le sens, ni sur la portée de cette harangue officielle. Cinq membres du cabinet cisleithan adressèrent alors un mémoire à l’empereur : ils y traçaient un programme de gouvernement (un programme après le discours du trône !) et offraient leur démission, si leurs idées ne devaient point être agréées. Les trois autres membres du cabinet aimèrent mieux offrir leur démission sans phrase et sans mémoire, et mettre ainsi leurs collègues au défi d’exécuter un programme impossible. Le dissentiment devint public et la dignité du gouvernement y gagna peu, l’on s’en doute. Interpellés au sein d’une commission du Reichsrath sur l’insurrection qui sévit dans une des provinces de l’empire, en Dalmatie, le ministre de l’intérieur renvoyait ingénument les curieux au président du conseil « comme préposé tout spécialement à la défense du pays. » De son côté, le président du conseil ne s’est pas fait faute de rejeter sur son collègue de l’intérieur la responsabilité de la déplorable conduite tenue par le gouvernement en face de la « grande démonstration ouvrière. » Cette démonstration avait eu lieu en violation flagrante de la loi, au mépris des autorités et du respect dû à la représentation du pays. Trente mille « travailleurs, » en grande partie composés d’étrangers (des Suisses et des Prus- N siens) et conduits par un agitateur venu de Berlin, s’étaient donné rendez-vous à la porte du parlement, le jour même de l’ouverture du Reichsrath. Une pétition monstre fut présentée qui, entre autres choses, demandait l’abolition de l’armée, et contenait au surplus la menace que les travailleurs reviendraient « en plus grand nombre et aviseraient aux moyens, » si leurs justes griefs demeuraient sans satisfaction. Le gouvernement ne fit rien pour prévenir cette audacieuse infraction aux lois, et, au lieu de renvoyer les meneurs à Berlin et à Berne, il eut même la bonhomie d’accepter de leurs mains la pétition pour en délibérer ! Sur ces entrefaites se leva le soleil du 21 décembre, jour anniversaire de la proclamation de la constitution. A entendre les journaux allemands de Vienne et les ministres ultra-allemands du cabinet cisleithan, cette constitution, qui ne date que de deux ans, a déjà poussé des racines indestructibles dans le pays, elle est le palladium de l’Autriche, elle fait le bonheur et la joie de ses peuples ; y changer une virgule serait la ruine de la monarchie. Journaux et ministres s’accordèrent cependant pour ne point fêter ce glorieux anniversaire, et pour déconseiller toute manifestation joyeuse : comme certaine divinité du monde antique, la