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principe de la centralisation absolue. Le document passe ensuite à la Galicie et insiste sur l’ombrage que pourrait prendre une grande puissance voisine de toute concession faîte au sentiment polonais. L’argument est on ne peut plus curieux dans la bouche des libéraux, et certes M. de Beust a montré plus de patriotisme autrichien et plus de souci de la dignité de son souverain lorsque, dans un récent entretien avec le prince Gortchakov à Ouchy, il a décliné, dit-on, tout débat au sujet de la Galicie, « ne pouvant pas accepter de discussion sur une question purement intérieure. » Le troisième et dernier point du mémoire des docteurs touche à la nécessité de constituer un « ministère homogène » et proteste en termes très peu voilés contre l’ingérence du chancelier de l’empire dans les affaires cisleithanes ; ce qui reviendrait à confiner M. de Beust dans la sphère des relations extérieures,… comme s’il était possible à un chancelier de l’empire, à l’homme qui répond de la sécurité et du prestige de la monarchie devant l’étranger, de ne pas s’inquiéter de la situation intérieure de cette monarchie, de n’y pas souhaiter partout un état bien ordonné et prospère ! Plus d’une fois, en effet, M. de Beust est intervenu dans la lutte de races qui désole et énerve les pays placés sous le sceptre des Habsbourgs ; déjà au sein du Reichsrath constituant de 1867 il a combattu toutes les folles mesures de centralisation excessive, et depuis lors il n’a négligé aucune occasion de faciliter un accord avec les populations non germaniques. Ces efforts persistans du chancelier de l’empire, au lieu d’exciter la colère des Allemands de Vienne, devraient plutôt toucher leur raison et leur conscience, car enfin M. de Beust ne peut guère leur être suspect. Il n’est ni clérical, ni féodal, ni fédéral, et il n’a pas en lui une seule goutte de sang slave. En fait de quartiers de germanisme sans tache, il pourrait certes en remontrer à M. Giskra. Il vient d’un pays tudesque par excellence : c’est un Saxon ; mais c’est aussi un homme politique éminent, qui, étranger aux haines de clocher, a la noble ambition de reconstituer l’Autriche, et croit indispensable de gagner au nouvel ordre de choses les peuples désaffectionnés de l’empire.

Quand M. de Beust fut mis à la tête du gouvernement de Vienne, bien des gens eurent des appréhensions graves et des méfiances d’ailleurs très explicables. Il semblait impossible qu’un tel homme fût arrivé à un tel poste sans I’arrière-pensée d’une revanche, sans le désir caché et coupable d’amener des complications violentes, de mettre l’Europe en feu, afin de rompre une dernière lance avec l’adversaire triomphant de la veille. Certaines légations, dont c’était l’intérêt, ont soigneusement travaillé à entretenir ces soupçons qui, hier encore, trouvaient de l’écho dans les principaux organes de la presse de France et d’Angleterre. L’attitude prise par M. de Beust dans la lutte des races sur les deux bords de la Leitha n’est-elle donc pas faite pour désarmer les préventions et refouler les calomnies ? M. de Beust aurait pu épouser les haines