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n’est pas un Hohenzollern, s’écria un jour dans le Reichstag M. de Bismarck, qui soit capable de toucher un seul cheveu à l’un de ses alliés. » Les annexions consommées, on respecta pieusement les cheveux de tous les petits princes du nord ; on se contenta de leur enlever les plus beaux fleurons de leur couronne. Depuis lors, cette couronne est devenue si légère qu’ils sont obligés de la retenir à deux mains sur leur tête : le moindre coup de vent pourrait l’emporter.

Il arriva même que, les innocens plaidant pour les coupables, on fit grâce à un ou deux petits princes dont les dispositions avaient été hostiles ou douteuses et qu’on aurait eu le droit de frapper. On ne pouvait garder la grande Saxe ; à quoi bon séquestrer Saxe-Meiningen ou Reuss branche aînée ? Il valait mieux s’en servir pour meubler la maison, pour faire nombre dans la confédération du nord, car il importait qu’elle fît honnête figure devant l’Europe. Vingt-deux états, vingt-deux confédérés ! Aussi bien, — n’oublions point ceci, — cette confédération n’était qu’un commencement ; on espérait y englober un jour l’Allemagne tout entière. On croyait alors le Mein plus guéable qu’il ne l’est. « Qu’est-ce que la frontière du Mein ? s’écriait aux applaudissemens du Reichstag un des chefs du parti national-libéral, M. Miquél. Une station où l’on fait halte pour prendre du charbon avec de l’eau et souffler un instant avant de poursuivre son chemin. » Si, par impossible, on avait réussi à s’annexer tout le nord, il n’y aurait plus eu dès ce jour de question allemande, et l’on tenait beaucoup à ce qu’il y eût une question allemande. Renoncer au sud, à ces beaux pays où croît la vigne, peu de Prussiens s’y résigneraient. Mieux valait ne se point presser, s’astreindre à de sages tempéramens ; quand il s’agit d’une capture telle que l’Allemagne, on peut attendre quelques années. Ces Allemands du sud sont des têtes dures, contre lesquelles se brisent tous les raisonnemens ; on a beau leur démontrer pertinemment que le plus grand bonheur pour un Allemand est de devenir un Prussien, que c’est là sa vraie cause finale, ils s’obstinent à n’en rien croire ; il leur faut une Allemagne fédérative. La sagesse conseillait de s’accommoder à leurs goûts, d’entrer dans leur fantaisie, de créer au nord du Mein un modèle de confédération, en leur déclarant qu’il ne tenait qu’à eux d’y entrer, que la porte restait ouverte, qu’on les attendait.

C’est le propre des grands esprits d’accomplir par des moyens simples des desseins vastes et compliqués ; ils savent, comme on dit vulgairement, tuer d’un sac deux moutures. La confédération du nord n’était pas seulement un habile expédient, commandé par les circonstances, et qui devait acheminer la Prusse à l’empire de