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demeurait à quelque cent lieues de la mer. Toutefois, ses amendemens ayant été repoussés, elle signait des deux mains le projet, s’en remettant du reste à la Providence, dont les décrets insondables l’avaient sans doute prédestinée à remporter un jour une victoire navale. Oldenbourg, que ses remords n’obligeaient point de mâcher ses mots, exprimait hautement son regret que la constitution ne donnât à l’Allemagne ni chambre haute, ni ministère fédéral, ni un budget militaire en forme constitutionnelle, Brunswick adressait un placet au futur président de la confédération pour qu’il n’abusât pas de son droit de composer à son gré les garnisons dans toute l’étendue du territoire fédéral. Les trois villes hanséatiques faisaient observer que, le contingent étant fixé au prorata de la population, cette mesure avait quelque chose d’inique pour elles, qui comptaient un grand nombre d’étrangers domiciliés et établis, exempts du service militaire. Schwarzbourg-Rudolstadt, Reuss branche aînée et Reuss branche cadette gémissaient sur les impositions écrasantes dont on allait les grever, insupportable fardeau pour de tout petits états. D’un ton plus tragique, Lippe faisait appel au bon cœur de la Prusse, et l’adjurait de lui épargner les horreurs du déficit et de la banqueroute.

Chose admirable, parmi tous ces mécontens, il y avait un heureux, — que dis-je ? un mécontent à rebours, qui se plaignait qu’on l’avait trop ménagé, qu’on ne lui prenait pas assez, qu’on ne l’avait pas tondu d’assez court. — Soit philosophie naturelle, soit un goût prononcé pour les situations nettes, Saxe-Cobourg-Gotha regrettait que la nouvelle confédération fût trop fédérale. Il se joignait, il est vrai, à la plupart de ses confédérés pour déplorer l’inévitable accroissement d’impôts dont il faudrait payer la gloire de devenir une grande nation ; mais il protestait qu’en dépit de tout il était content, très content, — qu’une seule chose gâtait son bonheur : on avait trop respecté ses droits de souveraineté. Il se serait bien facilement contenté d’un bon fauteuil dans une chambre des pairs où auraient siégé tous les princes et les principicules du nord, et il estimait que la Prusse ne s’était pas fait la part assez belle, il lui aurait cédé de grand cœur le gâteau tout entier. Il n’ajouta point ce qu’il se disait peut-être tout bas, que de toute façon la Prusse le mangerait, le gâteau, et qu’autant valait l’écrire dans la constitution. Quoi qu’il en soit, il se trouvait quelqu’un pour reprocher au lion l’excès de ses scrupules et de sa délicatesse. En vérité, il est permis de croire que les rois de Prusse ont une providence particulière ; il y a des bonheurs qui n’arrivent qu’à eux.