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voté. Quelques jours plus tard, M. de Bismarck vint déclarer que les gouvernemens le rejetaient, qu’ils ne pouvaient céder, qu’ils ne céderaient pas, — car tour à tour M. de Bismarck a des collègues ou il n’en a point, il dit je veux ou nous voulons ; c’est une affaire de circonstances. — Les libéraux s’étaient trop engagés, ils avaient mis trop fièrement flamberge au vent pour qu’ils pussent se rendre sans conditions. On capitula. Ville qui capitule, ville rendue. On chercha péniblement les termes d’une transaction, et on finit par en trouver qui semblaient dire quelque chose et ne disaient rien. À l’article qui fixait l’effectif sur le pied de paix, on ajouta ces mots : « à dater du 31 décembre 1871, ce chiffre sera déterminé par voie législative. » Qu’est-ce à dire ? Vous ferez une loi ? Vous la proposerez ; mais sera-t-elle acceptée par la majorité du conseil des gouvernemens, ou, pour être plus exact, sera-t-elle votée par le président, dont la voix est prépondérante dans toutes les questions militaires, si elle se prononce pour la conservation de ce qui existe ? Le bon billet qu’a le parlement ! Passe encore si la question d’argent avait été entièrement réservée. Le président n’est pas en peine à cet égard, les fonds ne lui manqueront pas. L’article 62 amendé porte que les états verseront annuellement dans la caisse fédérale 225 thalers par homme jusqu’au 31 décembre 1871, qu’à partir de cette époque, ces cotes continueront d’être acquittées jusqu’à ce que le chiffre de l’effectif ait été modifié par une loi. La répartition du montant sera réglée par la loi du budget ; mais l’article ajoute que, dans la fixation du budget des dépenses militaires, on prendra pour base l’organisation de l’armée telle qu’elle se trouve légalement établie dans la constitution, — termes louches, équivoques, que les deux parties pouvaient accepter, chacune les interprétant à sa façon. Qui vivra verra. Peut-être en l’an de grâce 1872 la question militaire suscitera-t-elle un conflit dans la confédération de l’Allemagne du nord. Voilà ce qu’ont gagné les libéraux : ils ont ajouté à la constitution un cas de conflit. Après tout, c’est bien quelque chose.

Les vrais libéraux avaient le cœur serré ; ils eurent peine à boire jusqu’à la lie l’amertume de ce calice. Dans la chambre des députés prussiens, il se trouva une minorité de 93 voix contre 227 pour voter en seconde lecture contre le projet. Oui, les vrais libéraux étaient décidément plus chagrinés que contens ; ils comparaient avec une mélancolie croissante ce qu’on leur donnait et ce qu’on leur prenait. Pantagruel ne leur paraissait plus si joli, ils regrettaient amèrement Badebec ; mais depuis lors le Pantagruel allemand a grandi, on peut déjà deviner à quelle fin on Fa mis au monde et ce qu’il adviendra de lui.