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jusqu’au droit de nommer l’officier du poste qui monte la garde à la porte de son palais ? Ce factionnaire qui passe, c’est la Prusse. Ces tambours qui battent aux champs, c’est encore la Prusse, la cocarde exceptée. Et à qui donc appartient le palais lui-même ? — Notre prince n’en est que le locataire, se disent tout bas les peuples. Le propriétaire, c’est l’autre, celui qui est à Berlin, celui qui a les bras si longs, que sans sortir de chez lui il expédie nos lettres et nos dépêches, celui qui nous recrute, nous habille à ses couleurs et nous fait grâce, celui qui nous prête de l’argent que nous lui rendrons, et à qui nous prêtons en retour un serment d’obéissance qu’il ne nous rendra jamais.

Les petits princes du nord connaissent trop le monde et la Prusse pour conserver la moindre illusion ; ils savent ce qui les attend, et qu’ils n’existent plus que par intérim. Nous ne parlons pas de Brunswick, dont le sort est depuis longtemps écrit dans les étoiles. Il n’a pas d’héritier direct, son bien doit passer à ses agnats du Hanovre ; mais qui détient aujourd’hui le Hanovre ? Elle est perdue pour les Guelfes, la ville gothique que fonda Bruno, que l’Ocker enlace de ses bras, qui se glorifie de son Collegium Carolinum et de son dôme, bâti par Henri le Lion. L’héritier de Berlin attend, et déjà il conteste au possesseur de Brunswick la faculté d’aliéner ses chemins de fer ; d’avance il s’arroge un droit de contrôle sur tous les effets de la succession ; il apposerait volontiers les scellés aux armoires. Le duc de Brunswick doit se le tenir pour dit. Le sait-il assez ? Le roi Guillaume lui a témoigné cette année son royal déplaisir en refusant d’aller chasser chez lui. Et que sert, après tout, d’avoir des héritiers ? Ni la veuve ni les orphelins n’attendriront l’inexorable destin. Assiégés des plus sombres pressentimens, les petits princes s’occupent de mettre en ordre leurs affaires. Ils n’entendent pas que, quand sonnera l’heure de la grande expropriation, l’événement les prenne au dépourvu. On vivait tellement en famille dans ces petits états, où régnait un laisser-aller patriarcal, que tout, pour ainsi dire, y était en commun, domaine de l’état, domaine de la couronne, domaine privé. Depuis 1866, on s’est hâté de débrouiller, de régler cette question du domaine, question de savoir ce qui doit revenir à la Prusse, ce qu’on pourra sauver pour vivre à son aise sans trop regretter sa couronne.

Dans tous ces arrangemens, les appréhensions se trahissent par des paroles significatives qui renferment des abîmes de mélancolie. En proposant à sa diète une loi sur le domaine, le duc d’Anhalt déclare qu’elle est rendue nécessaire « par les dangers possibles de l’avenir. » Schaumbourg-Lippe ajoute, comme apostille, à un des