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l’anthracite. La gueule flambante des fourneaux charme les yeux du voyageur, qui arrive brusquement dans ce lieu favorisé après avoir traversé des pays barbares ou dévastés. Nous avons pu voir une quantité considérable de blocs de sel ainsi obtenus par l’évaporation, emmagasinés et prêts à recevoir l’estampille du mandarin percepteur des droits. Parvenus au dernier étage de cette petite ville bâtie en amphithéâtre, dans un enfoncement où n’arrive ni bruit ni exhalaison, la pagode, adossée à la montagne et ombragée par de beaux arbres, nous apparaît tout éclatante de couleurs et baignée dans un bassin demi-circulaire que couvrent des nénuphars en fleurs. Les pagodes chinoises, dont l’architecture est d’ailleurs fort connue en Europe, ne ressemblent en rien aux temples bouddhistes du Laos que nous avons habités si longtemps. Bien qu’elles occupent souvent une superficie considérable, elles n’ont pas ces formes à la fois amples et sublimes qui donnent à certains sanctuaires de l’Indo-Chine, comme à ceux de l’Inde, une si imposante majesté. Elles manquent de cette unité grandiose, noble signe de l’architecture sacrée qui, sans exclure la richesse d’une ornementation souvent luxuriante, révèle le sentiment profond d’où les œuvres inspirées par la foi semblent jaillir tout d’une pièce. Elles ne connaissent ni ces élancemens vers le ciel qui sont dans l’Europe germanique comme une image de la prière, ni ce développement harmonieux des lignes architectoniques qui témoignent, chez les populations grecques, d’une si sereine vision de l’idéal et du divin. Ces pagodes se composent d’une longue suite de sanctuaires et de réduits reliés les uns aux autres par des terrasses et des galeries. Tout cet ensemble est écrasé et paraît raser le sol. On dirait que les temples redoutent de s’approcher des nuages, à l’instar des croyances chinoises elles-mêmes, qui craignent par-dessus tout de s’égarer dans l’abstraction. Nous nous y trouvons d’ailleurs fort à l’aise, ainsi que les hommes de notre escorte, et nous avons regretté souvent les pagodes dans les lieux où la guerre a laissé subsister quelques hôtelleries.

La seconde ville de Chine où nous ayons résidé s’appelle Poheul. Il faut traverser, pour s’y rendre, des forêts de plus exploitées sans méthode et sans mesure par de nombreux bûcherons qui auront bientôt détruit cette richesse forestière. Poheul est moins bien située que Seumao. Construite dans une vallée étroite, deux hautes montagnes l’enserrent et l’écrasent. Sur les sommets, un pavillon à plusieurs étages et une tour isolée produisent un effet bizarre. Ces sortes de tour, dont la plus célèbre se voyait à Nankin, sont souvent placées en Chine aux approches des villes de quelque importance. Elles paraissent se rattacher à un souvenir religieux. « Selon les traditions indiennes, lorsque le Bouddha mourut, on brûla son corps,