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ensuite on forma huit parts de ses ossemens, qu’on enferma en autant d’urnes pour être déposées dans des tours à huit étages ; de là vient, dit-on, l’origine de ces tours si communes dans les pays ou le bouddhisme a pénétré[1]. » Ces montagnes sont d’ailleurs assez pittoresques : aux grandes rayures noires et blanches de la roche calcaire se mêlent les raquettes vertes d’un arbrisseau qui enfonce ses racines dans la pierre. La ville de Poheul a été éprouvée par la guerre plus encore que Seumao. Une seule rue est habitée. On avait commencé à creuser un fossé de quelques mètres autour des murailles, mais cette œuvre de défense a été abandonnée. Poheul semble résignée à son sort, et les musulmans, qui l’ont déjà prise une fois, la trouveront tout ouverte le jour où ils se croiront en mesure d’achever la conquête de la province. Cette ville, presque déserte aujourd’hui, et qui a renoncé au rôle périlleux de place de guerre, reste un centre administratif important. Depuis deux cents ans environ, elle a été élevée au rang de fou[2], et le mandarin qui y réside a conscience de sa dignité. Il n’avait envoyé personne pour nous recevoir officiellement ; M. de Lagrée lui en fait témoigner quelque surprise, et des personnages décorés de globules de toutes nuances accourent aussitôt et s’offrent à nous conduire au palais préfectoral. La foule nous suit, mais on ne la laisse pas pénétrer, comme à Seumao, dans la cour du yamen. La conférence en est moins bruyante et plus digne. Le gouverneur est le type du mandarin chinois tel que le représentent toutes nos caricatures, gros et court, un œil à demi fermé et quelques poils longs au menton. Il désirerait nous voir partir pour Yunan-sen, ville capitale de la province, le plus promptement possible, en évitant de passer par Lingan, car il ne se rend pas compte des motifs qui nous poussent à étudier la région du sud-est au lieu de marcher avec célérité vers le nord. Des étrangers qui s’attardent dans le Yunan, alors qu’il achèterait lui-même fort cher la faveur de quitter cette province, ne peuvent manquer de lui être suspects. En effet, les mandarins dans ce pays sont si peu rassurés, qu’ils préfèrent à l’administration d’une préfecture au Yunan un simple canton au Set-chuen. Ayant, pour la plupart, renvoyé leurs familles et mis leur fortune en sûreté, ils se considèrent comme campés sur un sol exposé aux incursions de l’ennemi, et

  1. L’abbé Huc.
  2. Le territoire d’une province chinoise se divise en un certain nombre de fou, de tcheou et de hien, qui tous ont un chef-lieu fortifié. L’assimilation qu’on établit souvent entre ces divisions administratives et les nôtres (département, arrondissement, canton), n’est pas d’une exactitude rigoureuse. Les fonctionnaires résidant aux tcheou, ordinairement soumis, il est vrai, à celui d’un fou, dépendent cependant parfois directement de l’administration provinciale.