Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces lingots sont connus par les Européens sous le nom de tael. Représentant sous un mince volume une valeur assez forte, ils remplacent avantageusement dans les transactions importantes la sapèque de cuivre, dont le mérite principal est de permettre ce que l’abbé Huc appelait avec raison le commerce des infiniment petits. L’argent n’étant d’ailleurs, quels que soient les services qu’il rende dans les marchés, autre chose qu’une denrée, chacun le divise selon ses besoins ; aussi n’y a-t-il pas de Chinois qui ne porte sur lui une balance proprement enfermée dans un étui. Dans les magasins bien achalandés, on coupe ainsi chaque jour à coups de marteau une grande quantité d’argent, et les parcelles qui s’échappent, confondues avec la poussière de la boutique, sont balayées le soir dans la rue et glanées par les mendians.

Si insuffisantes que fussent les notions géographiques du mandarin de Yuen-kiang, M. de Lagrée ne négligeait pas de l’interroger. Son expérience lui avait appris à ne dédaigner aucune source d’informations. Que de fois, durant notre voyage, un renseignement d’abord obscur ne s’était-il pas soudainement éclairé à la lumière d’une observation postérieure ! La commission n’était point dépourvue d’ailleurs de documens scientifiques d’une valeur très sérieuse, et nous étions heureux d’y rattacher le nom de Français illustres et dévoués. C’est, comme personne ne l’ignore, par l’admiration qu’excitèrent leurs travaux que les jésuites admis à la cour de Pékin acquirent et conservèrent la faveur de l’empereur Kang-hi. Ils dressèrent, province par province, toute la carte de l’empire, en sorte que la position des villes principales s’est trouvée très exactement déterminée. J’ajoute, d’après la déclaration même des missionnaires de cette époque, qu’antérieurement à leur arrivée en Chine, les Chinois avaient fait d’assez grands efforts pour se rendre compte de la configuration topographique de leur pays. Le père Amiot affirme que « le chapitre Yu-koung du Chou-king, qui est peut-être le plus ancien monument de géographie existant dans le monde, le Pentateuque excepté, contient une description géographique de la Chine du temps de Yao et de Chun, » c’est-à-dire remontant à plus de 2000 ans avant notre ère. Le savant missionnaire dit en outre que la géographie faite sous la dynastie des Ming a servi de base à l’Atlas sinensis de Martini, qui « n’en est que la réduction et la traduction. » Nous avons pu voir nous-mêmes chez le gouverneur de Yuen-kiang un curieux spécimen des cartes chinoises. L’auteur, préoccupé surtout de la symétrie, avait également et partout parsemé son œuvre de montagnes uniformément représentées par un pain de sucre colorié en vert. Qu’il voulût tracer un ruisseau ou indiquer le lit d’un fleuve, il donnait une largeur égale à chaque cours d’eau en ayant soin de les