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l’empereur de la Chine eut accepté pour gendre le chef des tribus révoltées[1]. Il est encore interdit aux Annamites de pénétrer dans le Yunan. L’existence sur les frontières de cette province d’un grand nombre de sauvages mal soumis, dont des souvenirs confus entretiennent peut-être les espérances, explique jusqu’à un certain point cette mesure ; mais, ainsi qu’on a pu le pressentir déjà, ce n’est plus là qu’est le danger pour la Chine. Au moment où le Yunan tout entier menace d’échapper à ses lois, ce n’est pas contre des empiétemens auxquels Tu-Duc ne saurait songer qu’il importe à la cour de Pékin de se prémunir. Si mes renseignemens ne me trompent pas, ce serait plutôt le souverain de l’empire d’Annam qui se montrerait inquiet des flots d’émigrans chinois qui, rejetés de leur pays par les troubles, auraient suivi la vallée du Sonkoï pour s’établir dans le nord du Tongkin. La forte position prise par la France à l’extrémité méridionale de la péninsule indo-chinoise nous impose le devoir de ne pas demeurer indifférens aux graves événemens qui éveillent, pour des raisons diverses, les craintes des deux souverains asiatiques, et notre rôle naturel à Pékin comme à Hué consiste à abaisser, dans l’intérêt de toute l’Europe commerciale, les vieilles barrières qui séparent les populations.

On n’a peut-être pas oublié que le dessein de relier les provinces occidentales de la Chine à notre établissement annamite fut un des motifs qui déterminèrent en 1866 l’amiral de La Grandière à proposer à M. de Chasseloup-Laubat, alors ministre de la marine, de faire explorer le Mékong. On a pu voir également, dès les premières pages de ce récit, qu’au-delà des frontières du royaume protégé du Cambodge, le fleuve cessait d’être praticable à la navigation à vapeur. Les illusions qui nous restaient encore après cette pénible constatation se sont peu à peu dissipées, et l’intérêt de notre voyage a fini par se trouver concentré sur des questions d’un ordre purement géographique. L’heureux hasard qui nous a contraints d’abandonner la vallée du Mékong élargissait donc notre horizon, trop borné jusque-là par des études spéciales, et ce fut avec joie que nous nous trouvâmes dans le cas, en imprimant à nos recherches une direction nouvelle, de confirmer dans une voie depuis longtemps entrevue par leur sagacité les hommes qui présidaient aux destinés de notre jeune colonie. Cette communication si ardemment désirée et cherchée, ce déversoir par où devra un jour s’écouler dans un port français le trop-plein des richesses de la Chine occidentale, c’est du Sonkoï et non pas du Mékong qu’il

  1. Notes historiques sur la nation annamite, par le père Legrand de la Liraie, imprimées à Saïgon.