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pétait dans presque toutes ses lettres qu’il aimait Gueuse, qu’il s’y trouvait heureux, car du moins il y avait la paix, l’entière liberté de sa personne, quelques amis qui le visitaient et le servaient avec joie, et, par-dessus tout, la tranquillité ; aucun ennemi n’était là pour le molester et le chasser.

La solitude cependant diminuait autour de lui. Les amis du dehors arrivaient peu à peu malgré le froid, les mauvais chemins et la crainte des Isaures. Évéthius ne l’avait point quitté ; plusieurs prêtres de Syrie, échappés aux bourreaux de Porphyre, avaient trouvé refuge auprès de lui. Il en attendait bien d’autres encore, retenus jusqu’à ce moment dans les geôles de Constantinople ou d’Antioche. Lorsqu’il apprit que leurs prisons étaient ouvertes, il s’écria avec une généreuse confiance : « Les voilà libres, ils ne tarderont pas à me rejoindre ! » Le sort ne répondit point à cette sainte persuasion de l’amitié. Cependant l’affluence se dirigea de tous côtés vers Gueuse, principalement des contrées de l’extrême Orient. Dans les intervalles de ses souffrances, il se mit au travail avec cette activité qui le dévorait. Une masse de lettres l’attendaient à Cucuse ; il lui en arriva bientôt davantage quand on sut que le gouverneur de la ville et l’évêque professaient pour lui un attachement et un respect sincères, et qu’ainsi, sauf les hasards de la route, la correspondance avec lui était à peu près sûre. Il trouva dans ces lettres accumulées la révélation complète de ce qui s’était passé à Constantinople depuis son départ : incarcération des évêques ses partisans, poursuites et souffrances de ses amis, détails des procès criminels intentés pour fait d’incendie, situation de l’église fidèle, tyrannie des schismatiques, sentimens des Occidentaux à son égard, toutes choses qu’il ignorait ou qu’il n’avait apprises qu’imparfaitement pendant son voyage, soit par la rumeur publique, soit par des informations encore incertaines. À mesure que se déroulait sous son regard le tableau des événemens accomplis depuis son expulsion de Constantinople, il prenait la plume et écrivait, ou plutôt il dictait à des scribes qui l’assistaient. Ainsi s’ouvrit cette immense correspondance qui devait comprendre l’histoire entière de sa persécution, et dont malheureusement il ne nous reste plus que deux cent quarante-deux lettres. Dans le cours de cette correspondance, il s’aperçut que bon nombre de ses envois ne parvenaient pas à leur adresse et se perdaient en route, soit qu’ils fussent interceptés dans les provinces qui lui étaient hostiles, soit que les porteurs fussent infidèles ou dévalisés en chemin par les brigands ; les rapports en effet avaient lieu entre Chrysostome et ses correspondans tantôt par des messagers à gages, tantôt par des voyageurs connus de ses amis, tantôt et le plus souvent par des ecclésiastiques qui