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opinions ; mais la liberté des opinions n’est que d’hier, et if s’en faut qu’elle soit reconnue dans la pratique sans exception ni résistance. Puis la religion peut bien n’être qu’une opinion pour ceux qui entendent la traiter comme telle ; mais elle est encore autre chose pour la société dans son ensemble. L’église au moins est autre chose, et lorsqu’on nomme l’église et l’état, on ne dit pas : les deux opinions, mais seulement les deux puissances. Il n’est pas aisé da changer la nature des choses ; il est vrai que le temps les modifie.

Il faut reconnaître que ce pouvoir modificateur qui appartient au temps ne s’est jamais manifesté par de plus grands effets que de nos jours. En presque tous les genres, il y a et il faut du nouveau. C’est même ce qui produit l’illusion de ce radicalisme absurde qui se figure que, dès qu’il a imaginé sans la moindre réflexion une formule absolue, une parole de fantaisie, cette formule sera irrésistible, cette parole sera créatrice, et que tous les caprices de l’ignorance qui déclame deviendront des réalités. Pour employer une expression plaisante de la langue familière, rien n’est tel que l’absolutisme révolutionnaire pour croire, des qu’il a dit un mot, que c’est arrivé. Nous, qui nous piquons de ne point parler au hasard et de ne réclamer des réformes qu’à bon escient, nous devons examiner avec soin quels sont les changemens actuellement possibles avant de les entreprendre, et mesurer préalablement nos forces et celles de la résistance. Tout porte à croire que, dans la question de l’église et de l’état, l’examen prouverait que les moyens nous manqueraient pour amener l’une à se contenter de la liberté, l’autre à la lui accorder et surtout à la respecter après l’avoir reconnue. Assurément les conventions sur lesquelles repose aujourd’hui la coexistence du pouvoir spirituel et du pouvoir politique supporteraient mal la discussion, et la logique y rencontre à chaque pas des vides qu’elle ne peut franchir, des nœuds où son fil se brise ; mais la logique, qui est la règle des sciences, ne l’est pas des affaires sociales. L’homme est raisonnable, toutefois il est encore autre chose ; il est le produit du temps qui l’a précédé, du milieu où il vit, et il est entouré de traditions et d’habitudes qui ne sont pas son ouvrage et que sa raison même l’oblige de ménager, lors même que ses intérêts, ses préjugés et ses passions lui permettraient de n’obéir qu’aux lois de la pensée. Certaines écoles croient avoir tout dit lorsqu’elles ont prononcé d’une institution ou d’une coutume qu’elle est illogique. Il n’était nullement nécessaire d’inventer ce mot pour spéculer sur la politique. L’homme et la destinée de l’homme ne sont pas apparemment des abstractions, logiques. Le monde et l’état présent des choses ne sont pas sans incohérence ni même sans contradiction. Il est impossible de rendre déductivement un compte