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ce fut même un des motifs qui le ramenèrent en Europe. Il est difficile aujourd’hui d’avoir une opinion sur les sentimens qui le guidèrent en cette circonstance ; mais on doit rappeler qu’il n’était pas rentré encore en lui-même à cette époque pour y trouver, comme il disait, la trace de l’esprit de Dieu.

Il n’est pas aisé d’expliquer les motifs qui le portèrent en 1752 à songer au mariage, et l’on a en outre un peu de peine à comprendre que cet habile conducteur des âmes, formé par l’expérience à l’art de pénétrer d’un coup d’œil dans les cœurs inconnus, se soit trompé si lourdement dans le choix de la compagne de son âge mûr. Il s’adressa à une veuve dont le caractère devait être fixé et qui, mère de quatre enfans, paraissait familiarisée avec tous les devoirs de la vie domestique. Avant de conclure, il la prévint que le mariage ne devait porter aucune atteinte à la libre activité de sa vie, qu’il resterait aux ordres de toutes ses églises, et que rien ne le soustrairait aux obligations de ce ministère itinérant qui lui faisait parcourir jusqu’à 5,000 milles par an[1]. « Si je devais en faire un mille de moins, disait Wesley à sa fiancée, aussi vrai que je vous aime, je ne reverrais votre visage de ma vie. » La veuve souscrivit à ces conditions ; mais elle avait compté sans son inquiétude d’esprit, sans son penchant à la jalousie, et à peine leur union fut-elle formée qu’elle tourmenta son mari de soupçons insensés. Elle ne respecta ni sa liberté ni son repos, épiant ses démarches, ouvrant ses lettres, allant enfin jusqu’à le poursuivre dans ses courses apostoliques pour voir de ses yeux de qui il était accompagné, avec qui il pouvait s’entretenir. Malheureuse elle-même d’une vie qu’elle lui rendait insupportable, elle avait tenté plusieurs fois de se séparer de lui, lorsqu’enfin, après vingt ans de trouble et d’ennui, elle le quitta pour ne plus le revoir, et on lit dans le journal de son mari, à la date du 23 février 1771 : « Elle est partie pour Newcastle, je ne sais pour quelle cause, en me disant qu’elle ne reviendra jamais. Non eam reliqui, non dimisi, non revocabo. »

La vie du missionnaire n’est qu’une suite d’aventures de voyage qui offrent chacune un intérêt véritable, mais dont l’uniformité ne permet pas un récit détaillé. Maintenant surtout que l’existence du méthodisme est assurée, que Wesley, chef d’un corps pastoral distingué par le zèle et le talent, n’a plus à créer, mais à maintenir, à former, mais à administrer le royaume qu’il croit avoir donné au Christ, sa vie est remplie des soins monotones de tout gouvernement établi. Il rencontre moins cette hostilité violente qui avait plus d’une fois ensanglanté de pacifiques réunions ; moins inconnu dans

  1. 7,500 kilomètres environ, ou plus de 20 par jour.