Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soi-disant scientifique. À cette lecture, on se prend à répéter le vers du poète :

Un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.

Le ridicule fut poussé à ses limites extrêmes dans les plaidoiries d’un nommé G. Lamy, maître aux arts en l’Université de Paris. « Comme le sang d’un veau, dit-il, ou de quelque autre animal que ce soit, est composé de plusieurs différentes particules propres à nourrir les différentes parties du corps, si l’on fait passer ce sang dans les veines d’un homme, que deviendront les particules du sang que la nature a destinées pour produire des cornes ? Il n’en est pas de même de la chair d’un veau dont on se nourrit, parce que les parties qui ne sont pas propres à la nourriture de l’homme sont changées dans le ventricule (estomac) par la coction. En second lieu, comme l’esprit et les mœurs suivent ordinairement le tempérament du corps, il est à craindre que le sang d’un veau, étant transfusé dans les veines d’un homme, ne lui donne aussi la stupidité et les inclinations brutales de cet animal. »

Lamy trouve des adeptes parmi les anti-circulateurs ; les déductions de son raisonnement se suivent et s’enchaînent, le point de départ seul est arbitraire et faux. Les argumens de ses adversaires sont du reste entachés du même vice ; mais, par cela même qu’ils s’adressent aux novateurs harvéiens, ils seront acceptés. Citons encore, sur cette question de la transfusion du sang, un fragment d’une lettre de Denis. « En pratiquant cette opération, on ne fait qu’imiter la nature, qui, pour nourrir le fœtus dans le ventre de la mère, fait une continuelle transfusion du sang maternel dans celui de l’enfant par la veine ombilicale. Se faire faire la transfusion n’est rien autre chose que se nourrir par un chemin plus court qu’à l’ordinaire, c’est-à-dire mettre dans ses veines du sang tout fait au lieu de prendre des alimens qui se tournent en sang après plusieurs changemens. Le sang des animaux est meilleur pour les hommes que celui des hommes mêmes ; la raison, c’est que les hommes, étant agités de diverses passions et peu réglés dans leur manière de vivre, doivent avoir le sang plus impur que les bêtes, qui sont moins sujettes à ces déréglemens. On ne trouve jamais de sang corrompu dans les veines des bêtes, au lieu qu’on remarque toujours quelque corruption dans le sang des hommes, quelque sains qu’ils soient, et même dans celui des petits enfans, parce qu’ayant été nourris du sang et du lait de leur mère, ils ont sucé la corruption avec la nourriture. »

Toutes ces citations, bien qu’elles n’expriment que des idées vieillies, sont curieuses, parce qu’elles montrent à quel point les questions scientifiques peuvent dévier lorsqu’elles ne reposent que