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I

Une des cryptogames les plus dangereuses est désignée sous le nom d’ergot. Elle attaque le froment, le maïs et surtout le seigle. L’ergot du seigle a fait depuis une époque reculée l’objet d’études approfondies ; dans ces dernières années seulement, et à l’aide de méthodes d’observation perfectionnées, on est parvenu à en déterminer la véritable nature et le mode de développement. Quand on l’a bien connu, on a pu indiquer les moyens propres à conjurer les dangers qu’il présente pour l’hygiène publique. Des recherches persévérantes ont même fait découvrir des applications utiles de cette cryptogame redoutée, et elle est devenue un objet de commerce. L’ergot n’envahit pas seulement, comme on l’a dit bien des fois, le seigle qui a poussé dans les terres maigres que l’on consacre d’ordinaire à la culture de cette céréale ; les champs fertiles où la hauteur des tiges et la longueur des épis attestent la vigueur de la végétation ne sont point à l’abri de ses ravages. Il y a mieux : le champignon, trouvant alors une nourriture plus riche, atteint des dimensions plus considérables, et on le voit compromettre les plus belles moissons. Il est cylindroïde et présente une certaine courbure, de sorte que la forme générale offre quelque analogie avec celle de l’ergot d’un coq : c’est de là que lui est venu son nom. On a pensé longtemps qu’il se nourrissait aux dépens du périsperme du fruit et qu’il était condamné à mourir d’inanition quand ce périsperme était épuisé. Une telle hypothèse n’est plus admissible. L’ergot atteint souvent cinq et six fois le poids et le volume du grain qu’il remplace ; on en rencontre même qui pèsent 40 centigrammes, tandis que le grain de seigle primitif ne pèse que 3 ou 4 centigrammes. L’analyse chimique a montré en outre que la quantité de substances azotées contenues dans l’ergot, comparée à celle que renferme le grain, s’accroît dans une proportion équivalente, et que l’ergot sécrète jusqu’à soixante fois plus de matières grasses que le grain qui le supporte n’eût pu lui en fournir. Il faut donc admettre, et des expériences directes l’ont d’ailleurs démontré, que l’ergot, une fois qu’il a pénétré dans le réceptacle du grain, s’y nourrit en absorbant les sucs de la tige destinés à l’alimentation de ce dernier. C’est M. Tulasne qui a fait les observations les plus décisives pour nous conduire à la connaissance complète de l’ergot, lequel a été définitivement classé en botanique sous le nom de Sclerotium clavus.

Ce champignon expose aux plus graves dangers ceux qui se nourrissent spécialement de pain de seigle. Certaines de nos campagnes ont été désolées autrefois par les maladies qu’il détermine. Il