Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyages de mer les plus courts ; la susceptibilité de quelques-uns de ces vins est même si grande qu’on est souvent obligé d’en faire la consommation dans les pays où on les récolte, par l’impossibilité d’en risquer le transport sans s’exposer à les dénaturer entièrement.

« A l’époque où l’introduction des vins de France fut prohibée dans le royaume des Pays-Bas, les propriétaires de ces vignobles furent plongés dans la consternation ; une maison de Beaune me pria de chercher les moyens de conserver les vins de ce cru pendant les longs cours ; elle eut soin d’accompagner sa prière d’un panier de bouteilles consacrées aux expériences. Animé du noble désir d’être utile à mon pays et toujours plein de confiance dans les effets du calorique, je me mis au travail et ne tardai pas à trouver la solution du problème. » Il décrit les précautions qu’il a prises pour boucher hermétiquement les bouteilles, en ménageant entre le liquide et le bouchon un espace suffisant pour la dilatation, puis il ajoute : « Je les mis dans le bain-marie, dont je n’élevai la température qu’à 70 degrés, dans la crainte d’altérer la couleur. » Quinze jours après, douze de ces bouteilles étaient expédiées au Havre, afin d’être emportées par des vaisseaux en partance pour un voyage de long cours. Appert avait mis en réserve plusieurs bouteilles qui avaient subi la même préparation et quelques autres du même vin de Beaune dans son état naturel. Au bout de deux ans, les bouteilles revenues de Saint-Domingue furent soumises à la dégustation d’un connaisseur, comparativement avec celles qui étaient restées en France. Les bouteilles soumises au chauffage qu’Appert avait gardées avaient fait le voyage du Havre, aller et retour. Le résultat de cette triple épreuve fut extraordinaire : le vin, originairement le même, présentait trois qualités différentes. Celui qui avait été conservé sans préparation avait un goût de vert très marqué ; le vin renvoyé du Havre s’était fait et conservait son arôme, mais la supériorité de celui revenu de Saint-Domingue était infinie, rien n’en égalait la finesse et le bouquet… « Un an après, ajoute l’auteur, j’eus la satisfaction de réitérer cette expérience avec le même succès. Il est donc incontestablement démontré par des faits aussi patens qu’on pourrait, à l’aide d’une préparation fort simple, exporter nos vins fins aux extrémités les plus reculées du globe… Une épreuve bien importante que je me propose de faire incessamment est celle de conserver nos vins en cercles ; je pense que, en opérant ainsi que je l’ai fait sur la bière, on pourrait obtenir d’heureux résultats et arriver à les faire voyager en pièces. »

Comment comprendre que, malgré ces résultats si frappans, le procédé d’Appert pour la conservation des vins ait pu tomber dans l’oubli, tandis que les conserves alimentaires faisaient leur chemin ?