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L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

rêtée. Tibère la ménageait, et Néron, après la mort de sa mère, lui faisait l’honneur de la craindre. Si malgré ses complaisances ordinaires elle a osé par momens faire entendre quelques murmures, c’est qu’elle était réveillée de son apathie par ces contradictions timides et ces railleries discrètes des gens du monde. Ce bruit, si léger qu’il nous semble, était entendu dans ce grand silence, et il suffisait pour entretenir une inquiétude vague et un mécontentement secret. Cette opposition qui nous paraît si faible était donc pour quelque chose dans ces explosions de vengeance publique ou privée qui délivraient l’empire des mauvais princes. C’est elle encore qui, quand ils étaient morts, imposait à leurs successeurs la conduite qu’ils devaient tenir. On les choisissait naturellement parmi ceux qu’une attitude un peu plus énergique, au milieu de la servilité générale, avait désignés à l’opinion. Ils avaient fait partie de ces mécontens du grand monde et connaissaient tous leurs griefs. « Vous avez vécu, vous avez tremblé comme nous, disait Pline à Trajan : c’était alors la vie de tous les honnêtes gens. Vous savez par expérience combien les mauvais princes sont détestés. Vous vous rappelez encore ce que vous désiriez, ce que vous déploriez avec nous ». S’il est vrai que le souvenir de ces plaintes et de ces haines et la crainte de les mériter aient rendu les Vespasien et les Trajan plus fermes dans leur honnêteté, si elle les a sauvés parfois des dangers et des séductions d’un pouvoir sans contrôle, il faut bien reconnaître qu’à Rome comme ailleurs l’opposition n’a pas été tout à fait inutile.


III.

Que voulait vraiment cette opposition ? avait-elle des principes fixes et un système arrêté ? Les délateurs le prétendaient, les césars le croyaient peut-être. La peur leur faisait voir dans ces gens du monde coupables de quelques bons mots des conspirateurs profonds qui préparaient toujours dans l’ombre quelque grande entreprise. C’était leur faire trop d’honneur : ceux qui conspiraient réellement se gardaient bien de rien dire ; les autres parlaient sans dessein, au hasard, pour soulager leur haine. C’étaient des mécontens isolés qui ne cherchaient pas à s’entendre, qui ne formaient pas un parti. Les plus résolus souhaitaient avec ardeur d’être délivrés de l’empereur qui régnait, mais en général leur pensée n’allait pas plus loin. Ils avaient plus de haine pour l’homme que pour le régime ; ils ne voulaient pas changer de gouvernement, mais de maître.

On peut affirmer qu’en dehors de Rome il y avait alors très peu de républicains dans l’empire. La province se souvenait de Verrès ;