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L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

« qui, n’étant pas hommes eux-mêmes, voulaient empêcher les autres de l’être ». Était-il juste de punir un misérable quand ces grands coupables échappaient ? Cette éloquence violente séduisait les jeunes gens. Labiénus et Cassius Sévère étaient à la mode chez les écoliers. Non seulement on imitait leur façon de parler, mais on partageait leurs sentimens politiques. Les sujets qu’on avait l’habitude de traiter chez les rhéteurs étaient encore ceux de l’ancien temps ; il y était beaucoup question du tyran, personnage d’une méchanceté hyperbolique, auquel on attribuait toute sorte de méfaits et qui ressemblait assez au traître de nos mélodrames. Quel plaisir on éprouvait à le maltraiter ! et comme la classe était heureuse le jour où, selon le mot de Juvénal, elle tuait en chœur le tyran !… L’histoire contemporaine avait aussi pénétré dans les écoles, et l’on y traitait des sujets empruntés aux événemens de la veille. Dès le règne d’Auguste, la vie et la mort de Cicéron devinrent un thème de déclamations pour les élèves et les maîtres. On supposait, par exemple, qu’à ses derniers momens il délibère avec ses amis pour savoir s’il doit implorer le pardon d’Antoine et brûler ses Philippiques. L’occasion était bonne pour parler des proscriptions, et l’on ne se refusait pas le plaisir de flétrir en passant « ces enchères sanglantes où l’on mettait à prix la mort des citoyens ». Antoine était naturellement le plus malmené des triumvirs : il n’était plus là pour se défendre ; mais les autres n’étaient pas non plus épargnés. On ne voulait pas admettre ces mensonges officiels qui montraient Octave faisant tous ses efforts pour arracher Cicéron à son collègue ; on disait au grand orateur qu’il lui fallait mourir, qu’il n’avait à espérer de secours de personne, que, s’il était odieux à l’un des triumvirs, il était gênant pour l’autre, et que sa mort délivrait l’un d’un ennemi, l’autre d’un remords. Qu’on juge des applaudissemens qui accueillaient ces paroles hardies !

Il y avait donc encore des républicains dans les écoles ; les maîtres surtout, qui perdaient plus que tout le monde au gouvernement nouveau et que l’enthousiasme des élèves ne dédommageait pas des succès du Forum, devaient naturellement regretter beaucoup le passé. Ces regrets étaient justes, et l’on ne peut s’empêcher de les partager quand on parcourt ce qui nous reste de cette éloquence des rhéteurs. Que de forces perdues ! que d’esprit, que de talens dépensés sans profit ! quelle finesse d’observations ! quelle vigueur de pensées et qu’il est malheureux qu’au moment où l’éloquence romaine, arrivée à la perfection, s’élançait dans toutes les voies, l’empire l’ait brusquement renfermée dans l’école ! Quel orateur, par exemple, que ce Porcius Latro, s’il avait été jeté dans des luttes dignes de son talent ! Sénèque nous dit qu’il y avait dans son éloquence