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L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

monde était pompéien autour de lui, et il ne s’en fâchait pas. Ceux qui voulaient le flatter, comme Properce, dénaturaient l’histoire sans pudeur, et représentaient Actium comme une revanche de Pharsale. Ne vit-on pas un prince de la maison impériale, celui qui fut plus tard l’empereur Claude, dont on avait fait un historien parce qu’on n’en pouvait pas faire autre chose, composer un jour un ouvrage pour défendre Cicéron contre les calomnies de Gallus ? On se permit bien plus encore après Tibère, et les noms de Caton et de Brutus ne furent plus prononcés qu’avec respect, sans qu’on en fît un crime à personne. J’en conclus que ces souvenirs n’étaient pas dangereux, et qu’en dehors des écoles, peu de personnes regrettaient le gouvernement que Brutus et Caton avaient servi.

Il y avait des gens surtout qui affectaient alors de parler du passé avec regret et qui se plaignaient toujours du présent ; c’étaient les philosophes. Étaient-ils pour cela des républicains ? Les délateurs le prétendaient, et ils n’étaient pas les seuls à le prétendre. « Cette secte, disaient-ils en parlant des stoïciens, n’a jamais produit que des intrigants et des rebelles. » Sénèque affirmait le contraire ; dans une lettre célèbre, et qui dut être très discutée, il essaya de prouver que les princes n’avaient pas de sujets plus fidèles que les philosophes. « Parmi les voyageurs, disait-il, qui naviguent sur une mer tranquille, ceux-là gagnent le plus au calme des flots et se croient surtout les obligés de Neptune qui transportent les marchandises les plus riches. » C’est ainsi que la paix publique est plus précieuse à ceux qui s’en servent pour arriver à la sagesse. Comme ils en font un meilleur usage que les autres, ils en apprécient mieux le bienfait et sont plus reconnaissans à celui qui le donne. Ce qui est sûr au moins, c’est que Sénèque n’était pas un républicain. La monarchie sous un roi juste lui semblait le meilleur des gouvernemens, et il a dit plusieurs fois qu’il croyait l’autorité impériale nécessaire au salut de Rome. « S’il nous arrivait par quelque accident de secouer le joug, et si nous ne souffrions pas qu’il nous fût remis sur la tête, cette admirable unité, ce vaste édifice de notre empire se briserait en pièces. Rome cessera de commander le jour où elle cessera d’obéir. » Sénèque, je le sais, est suspect, et comme sa fortune politique a pu influer sur ses opinions, on ne peut pas le prendre pour le représentant exact des philosophes de ce temps ; mais il n’était pas seul dans ces sentimens ; le plus illustre d’entre eux, l’honnête Thraséa, ne me paraît pas non plus un ennemi décidé de l’empire. Nous nous le figurons ordinairement comme un personnage austère, une sorte de Caton à l’humeur dure et frondeuse. C’était au contraire un homme du monde dont la maison était fréquentée par des hommes et des femmes de bonne compagnie ; il