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festation parlementaire que d’un mouvement d’opinion qui s’est imposé à tout le monde. Il en résulte cette situation assez étrange, quoiqu’elle n’ait rien d’absolument nouveau, où un ministère libéral se trouve obligé de s’entendre avec une assemblée dont la majorité, telle qu’elle était il y a peu de temps encore, ne nourrissait pas précisément les instincts les plus libéraux. Sans doute cette majorité n’existe plus, elle s’est dissoute au souffle des événemens ; il y a toujours cependant un noyau assez fort pour créer des embarras. Dans ce qui reste aujourd’hui de la droite au corps législatif, il y a eu évidemment des susceptibilités froissées, et même, si l’on veut, des convictions sincères singulièrement déconcertées par le cours rapide des choses. Parmi ces hommes tout étonnés de se trouver pour la première fois en dissidence avec le gouvernement, il y a de l’amertume, des ressentimens mal contenus, une hostilité à peine déguisée. Le cabinet du 2 janvier leur apparaît comme une humiliation pour l’ancienne majorité, laissée complètement à l’écart. Ce ne sont peut-être pas des adversaires déclarés, ce sont encore moins des amis, et la preuve que le vieil esprit n’est pas définitivement vaincu dans le corps législatif, c’est que, lorsqu’il a fallu ces jours derniers remplacer les trois vice-présidens entrés au pouvoir, M. Daru, M. Chevandier de Valdrôme et M. de Talhouët, la droite a réussi encore à faire passer deux de ses représentans en évinçant le candidat préféré du centre gauche, M. d’Andelarre.

Si la moindre fissure se laissait entrevoir dans le ministère, si le gouvernement semblait agité de tiraillemens intimes, il n’est point douteux que les dissidences, les mécontentemens secrets deviendraient une opposition plus vive, et un jour ou l’autre on se trouverait entre un cabinet affaibli par les divisions et la majorité ancienne, assez réparée, assez remise à neuf pour disputer le pouvoir ; ce jour-là, la question serait tranchée. Si au contraire le ministère du 2 janvier reste fermement uni, la majorité le suivra sans effort ; la droite elle-même le subira, elle votera peut-être en maugréant, elle ne regimbera pas trop, parce qu’elle n’osera pas provoquer un gouvernement assez fort pour tenter une dissolution. Dans l’état des choses, cette dissolution n’est point une nécessité impérieuse sans doute, et la question ne semble même pas posée dans les conseils du gouvernement. Il ne faut point oublier que c’est du corps législatif, tel que l’ont fait les dernières élections, qu’est partie l’impulsion réformatrice au mois de juillet, et il n’est pas toujours très politique de prétendre renouveler les assemblées à chaque mouvement de l’opinion. Les situations sont en apparence plus simples par cette sorte d’appel incessant au pays ; en réalité, elles deviennent plus dangereuses, surtout dans les conditions de vie publique créées par le suffrage universel. Il faut y regarder à deux fois avant de mettre en mouvement cette redoutable machine, et dans tous