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ministère qu’on fait des révolutions de hasard dont le premier résultat est d’affaiblir la représentation du pays. M. le comte Daru a trouvé là d’ailleurs pour le seconder un directeur politique expérimenté, M. H. Desprez. À l’intérieur, M. Chevandier de Valdrôme médite sur des changemens de préfets et vient aussi de se donner pour secrétaire-général un homme jeune et d’un vrai mérite, M. Edmond Blanc. Tout cela au surplus n’est qu’un travail préliminaire d’organisation imposé à toute administration nouvelle. Le cabinet du 2 janvier s’est occupé de bien d’autres choses dans ces quelques jours. Il a déjà multiplié les mesures qui attestent la bonne volonté et l’esprit libéral dont il est animé. Il a librement exercé son initiative, il s’est même peut-être trop hâté sur certains points, et, pour aller droit à deux ou trois faits saillans où se laisse sentir quelque précipitation, nous prendrons tout d’abord la destitution de M. Haussmann.

Le ministère a voulu évidemment accomplir un acte d’éclat, donner une satisfaction à l’opinion ; il n’a réussi qu’à moitié, et, chose bizarre, une mesure qui semblait si naturelle n’a été accueillie qu’avec une certaine hésitation mêlée presque d’un retour involontaire de sympathie pour l’ancien préfet de la Seine. Au dernier moment, on s’est souvenu que ce grand contempteur de toutes les règles, ce grand démolisseur, avait après tout, en quinze ans, fait de Paris la première ville du monde. Pourquoi ce mouvement singulier d’opinion ? Parce que M. Haussmann, qui ne pouvait tomber comme le premier-venu, a fièrement attendu sa disgrâce sans vouloir donner sa démission, et que la fierté ne déplaît jamais en France. Il y a peut-être une raison plus sérieuse. Assurément, par ses habitudes d’omnipotence, M. Haussmann s’était rendu impossible dans un ordre nouveau d’institutions, il n’était probablement pas le dernier, à s’en douter ; mais, en même temps, on s’est dit que l’ancien préfet de la Seine n’était pas un administrateur vulgaire, et lorsqu’il refusait sa démission en invoquant le devoir et le droit de régler ses comptes, de mettre en état les affaires de la ville de Paris, on a compris qu’il y avait là une situation particulière qu’on pouvait éviter de brusquer. Alors, dira-t-on, que fallait-il faire ? Ce n’était peut-être pas aussi compliqué qu’on le croit. Il y avait tout simplement à bien établir que, par une raison politique supérieure, M. Haussmann ne pouvait plus rester préfet de la Seine, mais que d’un autre côté il était bon, pour lui-même comme pour le service public, qu’il attendît à son poste la prochaine discussion du corps législatif sur le budget de la ville de Paris, — et tout cela, il fallait le faire nettement, ostensiblement. On aurait ainsi évité, toute apparence de précipitation à l’égard d’un administrateur qu’on frappait peut-être par une sorte d’obligation plus que par une conviction bien pressante, et dont le nouveau ministre de l’intérieur lui-même a cru devoir panser la blessure en lui parlant des « nécessités cruelles de la politique. »