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REVUE. — CHRONIQUE.

le démenti ? elle s’était promis de rompre la mauvaise chance qui jusqu’alors semblait s’attacher à l’une des plus hautes conceptions du génie, et la partition de Beethoven a été acclamée du public parisien. Quand on joue Fidelio, la salle est comble, et la boîte à musique de la Patti connaît pour la première fois les grands enthousiasmes du Conservatoire ; du reste, l’opéra de Beethoven est en outre parfaitement représenté. Fraschini, au début, rendait la partie de ténor avec cette âme et cette intelligence d’un grand chanteur à qui rien de ce qui est beau ne demeure étranger, et Nicolini, qui maintenant le remplace, supplée par la jeunesse et le charme de sa voix à ce qui lui manque du côté de l’interprétation du rôle, qu’il comprend trop à l’italienne. Le côté critique de cette exécution est dans l’orchestre et dans les chœurs, non qu’ils se comportent mal ; mais le degré voulu de résonnance n’est pas atteint. L’hymne final par exemple. Se figure-t-on l’immense effet qu’il produirait à l’Académie impériale, attaqué, enlevé par toutes ces masses qu’on déchaîne aux grands jours de Guillaume Tell et des Huguenots ? Là seulement est la vraie place du chef-d’œuvre ; il faudra tôt ou tard qu’il y vienne, et si quelque chose a droit d’étonner, c’est qu’il n’y soit pas encore venu. Je sais bien où l’objection se dresse ; mais cette pièce même, il suffirait d’une retouche habile pour en modifier le caractère, et de bourgeoise et larmoyante la rendre complètement intéressante, car le sujet tout romanesque est au fond très humain, très pathétique et très moral, ce qui devrait ne rien gâter à une époque où tant de belles préfaces s’évertuent à nous démontrer que la moindre pièce du Gymnase doit porter son enseignement. Le poème de Fidelio, et c’est pour cela uniquement que Beethoven l’a choisi, met en action la foi dans le mariage, le dévoûment de la femme exalté jusqu’à l’héroïsme, et cette simple idée, dramatiquement exposée, en vaut bien une autre. Quant à la couleur monotone du sujet, ceux qui connaissent l’Académie impériale savent quelles ressources la mise en scène y tient en réserve contre un pareil inconvénient. Rien ne serait plus facile que de dépayser l’action, d’en accentuer le dramatique et le pittoresque en la transportant en Italie, au plein de ce XVIe siècle où florissaient les César Borgia et les Alexandre VI, et qui vit s’accomplir des intermèdes tragiques tels que les noces d’Astorre Baglione et de Lavinia Colonna.

Du reste, le grand salon du Louvre ne s’est pas fait en un seul jour, et l’Opéra, tout en usant d’une sage temporisation lorsqu’il s’agit d’adjoindre à son musée de nouveaux chefs-d’œuvre, ne néglige point pour cela le culte des maîtres. On a repris Don Juan avec Mme Carvalho, une excellente Zerlines, un objet d’art exquis dont l’attrait a seul maintenu cette fois la fortune de Y ouvrage. En l’absence de Mme Marie Sass, c’est à Mlle Hisson qu’on avait cru devoir confier dona Anna, et selon son irrémédiable habitude Mlle Hisson a tout compromis. Toujours la même