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fut sans doute vivement contrarié de le voir quitter ses études profanes pour entrer dans les ordres de l’église, et il en était résulté entre eux une grande froideur et une brouillerie. Le jeune Théodote, devenu lecteur, à la grande désolation de son père, ne s’en tint pas même à ce nouvel état, qu’il trouvait trop entouré de dissipations et trop mondain. Une imagination ardente le portait vers ce qu’on appelait, dans le langage mystique du temps, « la vraie philosophie, » c’est-à-dire vers l’état monastique, et il eût regardé comme un bonheur d’en recevoir les premiers enseignemens de la bouche de Chrysostome. Il sollicita donc de son père l’autorisation de se rendre en Arménie pour se mettre sous la direction du grand exilé, qui avait été moine lui-même et avait composé de si beaux livres sur la vie solitaire. Le consulaire sans doute soupçonna son fils de devenir fou ; il essaya de le dissuader et de sa prétendue vocation et de son voyage, puis, de guerre lasse, il le laissa partir avec des présens pour Chrysostome. Le diacre Théodote faisait alors ses préparatifs de départ, et il est probable que ce fut la circonstance qui avait monté la tête au jeune lecteur. Tous deux se mirent en route, et après le plus pénible et le plus dangereux de tous les voyages ils arrivèrent dans la ville d’Arabissus, où ils avaient appris, chemin faisant, qu’il fallait chercher Chrysostome.

Chrysostome parut médiocrement satisfait de l’arrivée du jeune lecteur, et il ne le dissimula ni à lui, ni au diacre, son compagnon. La situation de l’Arménie, toujours en armes, toujours sous la menace des brigands, ne permettait guère les calmes études qui menaient à la vie monastique ; et quant à lui, traqué de lieu en lieu, toujours errant et malade, de quelle utilité pouvait-il être à préparer de telles vocations ? Ce jeune homme d’ailleurs était d’une complexion faible, et il avait les yeux malades. Chrysostome jugea que le rude climat de l’Arménie ne convenait ni à sa santé en général, ni à ses yeux en particulier, et que des hivers comme celui qu’on traversait alors l’auraient bientôt emporté malgré tous les soins. Il lui conseilla donc de retourner en Syrie dès que les chemins deviendraient plus praticables, et le remit entre les mains du diacre, qu’il chargea de veiller sur lui pendant le voyage et de le rendre à son père. Il confia en même temps à ce dernier une lettre pour le consulaire, où il s’excuse, dans le langage le plus courtois, de lui renvoyer ses présens. « Ce serait accepter, lui dit-il, ce dont j’ai le moins besoin. Ce que j’aurais bien voulu retenir près de moi en qualité de lecteur, c’est le charmant Théodote, que j’aurais eu du bonheur à former et à instruire ; mais tout ici respire le meurtre, le tumulte, le carnage, l’incendie ; moi-même, je change à chaque instant de résidence et ne sais souvent où reposer ma tête. » Il l’engage,