Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
REVUE DES DEUX MONDES.


toyen d’Antioche nommé Diogène adressait à Chrysostome, par son intendant Aphraate, une somme d’argent assez considérable ; Chrysostome la refusa en répondant à Diogène : « Je n’ai pas besoin de cela, mais mes frères de Phénicie en ont besoin, » et il la lui renvoya par son serviteur. Il fit plus ; s’étant aperçu, en sondant Aphraate, qu’il était homme de résolution et de foi, et ferait un bon missionnaire, il l’enrôla dans son armée, et exigea de lui le serment d’aller rejoindre les convertisseurs de la Phénicie.

Ce n’était pas d’ailleurs autour de lui seulement qu’il recrutait ; son rayon d’action s’étendait fort au loin. Ainsi il entra en rapport pour le même objet avec les solitaires du couvent de Saint-Publie à Zeugma, situé près du pont de l’Euphrate, fameux dans l’histoire pour avoir été de ce côté-là la borne de l’empire romain. Ce monastère, peuplé de Grecs et de Syriens, avait deux enceintes séparées, deux abbés distincts et une église commune où l’office se célébrait dans les deux langues. Chrysostome écrivit à l’un et à l’autre abbé pour obtenir d’eux des auxiliaires à son armée de Phénicie, et il les obtint. Un de leurs moines nommé Nicolaüs, qui était prêtre, lui écrivit, en se mettant à sa disposition, qu’il irait le voir d’abord à Cucuse, probablement pour prendre ses ordres. « Ne viens pas, lui répondit l’exilé, la Phénicie t’attend, et si tu venais ici, les neiges pourraient te retenir. » Nicolaüs devint un des lieutenans les plus intelligens et les plus zélés du prêtre Constance, Chrysostome faisait surtout ses levées de moines dans le diocèse d’Apamée, en Syrie, où se trouvaient une vraie multitude de monastères. Il en tira entre autres un prêtre nommé Jean, chez qui une grande mansuétude de caractère et la douceur d’un langage persuasif cachaient un cœur de héros. Chrysostome tenait beaucoup à l’avoir, parce qu’il était aussi bon pour pacifier que pour agir, et savait mieux encore attirer que contraindre. Il le fit circonvenir de toute façon et obtint enfin son consentement. Ce fut une grande conquête pour le parti de la conversion et qui attira bien des soldats sous le saint drapeau. Chrysostome, en lui écrivant, le proclame son général d’armée.

En même temps que le bataillon des moines grecs et syriens, sa seconde armée, s’acheminait vers les montagnes du Liban, Chrysostome adressa aux soldats découragés de la première une longue lettre où il ne leur épargnait pas les reproches. D’où provenait le désarroi actuel de leur mission ? De ce qu’ils avaient manqué de fermeté, manqué aussi de confiance en sa parole, et surtout dans la grâce de Dieu. — « Ce n’est point, disait-il avec une sainte sévérité, ce n’est point au moment où la mer se gonfle, où la tempête accourt menaçante, que le pilote abandonne son navire ; il fait appel au contraire à tout son courage et cherche à ranimer les passagers par son exemple. Ce n’est pas non plus quand la fièvre sévit et at-