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qu’elle s’étendît à tout le territoire des adorateurs d’Astarté, et les faits nous montrent, jusqu’à la fin du ve siècle, plus d’un signe de paganisme parmi les Phéniciens ; mais enfin leur pays devint chrétien, et il aimait à rattacher sa conversion aux efforts surhumains d’un prisonnier en exil. « C’est l’évêque Chrysostome, nous dit l’historien Théodoret, qui fit abattre les temples de cette contrée païenne, n’y laissant pas pierre sur pierre. » Étrange siècle où de pareils prodiges s’accomplissaient ! On peut en dire tout le mal qu’on voudra, et il le mérite assurément ; mais on ne lui refusera pas du moins le courage, la confiance en ses propres œuvres et la foi qui les féconde.

La seconde des préoccupations apostoliques de Chrysostome le reportait bien loin de l’Euphrate, près des rives du Bosphore cimmérien, sur une église barbare dont il était également le protecteur, l’église catholique des Goths.

On sait que la grande nation des Visigoths, au moment où, chassée par les Huns, elle vint demander asile sur les terres de l’empire romain, était à peine chrétienne, mais que du moins son christianisme était orthodoxe. Valens ne consentit à l’admettre au midi du Danube qu’à la condition qu’elle et son évêque Ulfîlas adopteraient le symbole de foi formulé par Arius, lequel repoussait l’égalité du père et du fils, dans le mystère de la Trinité. Ulfîlas le jura, et les Visigoths ne furent que trop fidèles au serment de leur évêque, car, lorsque l’empire d’Orient rentra dans la communion catholique, sous le règne de Théodose, les Visigoths ne le suivirent point dans son évolution religieuse. Ils restèrent ariens, ariens fanatiques et persécuteurs, ce qui créa pour l’empire un double péril. D’un côté, en effet, ils formèrent un noyau d’opposition chrétienne à la religion de l’état, qui servit de point de ralliement aux sujets romains dissidens, et de l’autre ils attirèrent à eux par la persuasion ou la force les autres races barbares établies dans l’empire, de sorte que l’arianisme devint le christianisme des barbares par opposition au catholicisme, culte officiel des Romains. Ce double danger se manifestait déjà au temps d’Arcadius et d’Honorius. C’était donc une œuvre bonne et utile, au point de vue politique comme à celui de la religion, de tenter sur les Visigoths un rappel à leur ancienne foi catholique, ou du moins de les diviser de manière à rendre leur action moins redoutable. Chrysostome s’y était mis avec ardeur pendant les jours paisibles de son épiscopat ; il fonda d’abord à Constantinople une église pour les Goths convertis, où lui-même officiait et prêchait fréquemment, assisté d’un interprète qui traduisait ses paroles en langue gothique. Il établit ensuite, vers les bouches du Danube, mais à l’intérieur de l’empire, un couvent de Goths catholiques qu’on appela les Marses, on ne sait pourquoi, et